Sans-abris.
PubliéIl s’agit d’un entretien donné à Oskar et figurant à la fin de ma novella Zina et Lechien consacré à deux sans-abris qui vivotent dans une tente Quechua à la sortie du tunnel Turbigo.
1 Quel est votre plus ancien souvenir concernant les sans-abris ?
Il ne s’agit pas d’un souvenir concernant un sans domicile fixe mais un clochard. J’étais enfant et j’habitais Versailles avec mes parents. Un homme, grand et barbu, avançait dans la rue, tirant une poussette remplie de vêtements et de sacs en plastique. Ma mère m’expliqua qu’il s’agissait d’un clochard. Pendant longtemps, le terme SDF ne fut pas utilisé. Ceux qui vivaient dans la rue étaient des clochards. Une population qui comptait pour partie des gens sans ressources mais surtout (je parle de la fin des années cinquante) de personnes ayant fait le choix de vivre à l’écart de la société et de ses convenances. Les clochards de l’époque étaient regardés comme une population pittoresque. Dès le début des années 80, le second choc pétrolier a jeté dans la rue une population nouvelle, les SDF. Des personnes n’ayant pas fait le choix de la marginalité mais que le manque de ressources a poussé sur le trottoir. Certains d’entre eux n’abdiquant pas la possibilité de retrouver du travail pour se réinsérer dans la société qui les avait écartés. Bien vite, il s’avéra que sortir de l’exclusion était quasi impossible et une population de sans-abris s’installa dans les grandes villes. Certains migrant vers le soleil du midi aux beaux jours.
2 Les sans-abris ne sont donc pas des clochards ?
Non, justement. Avec les SDF, nous sommes dans une totale précarité. Certains immigrés notamment vivent au sein de cette population en attendant des jours meilleurs. Ils ne s’installent pas pour toute la vie. Je pense notamment aux immigrés qui traversent la France en attendant de passer en Angleterre. Les campements aux alentours de Calais ont été médiatisés et ils illustrent bien une population de sans-abris provisoire. Le Samu Social a utilisé au cours des années le terme Grands Clochards pour différencier la population citée plus haut de celles des SDF, moins sédentaire, plus fluctuante. En 2002, Patrick Declerck, psychanalyste, avait comptabilisé 10000 à 15000 clochards permanents à Paris et autour de 25000 SDF instables.
3 L’hiver est-elle la période la plus dure pour les sans-abris ?
Oui mais les SDF meurent prématurément toute l’année, de froid, certes, mais aussi par manque de soins et de prise en charge. Le collectif Les morts dans la rue a relevé 145 décès de sans-abris, de novembre 2006 à mars 2007. Cette année-là, leur durée de vie moyenne était de 49 ans contre la moyenne nationale installée à 80 ans. La malnutrition est une des causes de décès les plus courantes mais la consommation d’alcool et de tabac multiplie aussi les maladies d’origine vasculaires. (source : Wikipedia).
4 Les gens qui habitent dans des squats murés ou des taudis sans gaz ni électricité sont-ils considérés comme des SDF ?
SDF est un sigle qui signifie Sans Domicile Fixe. On peut donc ranger les personnes dont vous parlez dans la population SDF. J’imagine que pour survivre dans le froid, très démuni, tous les moyens sont bons pour investir des lieux abandonnés, des abris. L’image que nous avons des sans-abris à Paris est celle de groupes de jeunes avec chiens rassemblés près des bouches de métro ou des distributeurs de billets de banque. Mais toute une population invisible cherche à survivre dans des endroits comme ceux que vous indiquez. Cela étant, les immeubles murés sont parfois occupés par d’autres que les SDF. J’ai en mémoire des immeubles du 18eme qui étaient réquisitionnés par des maquereaux africains pour prostituer leurs compatriotes.
5 On voit beaucoup de jeunes dans les rues qui semblent se contenter de cette situation.
Etant jeunes et solidaires, j’ai le sentiment qu’ils se regroupent pour affronter ensemble, avec des copains, la dureté de la vie dans la rue. Certains seront peut-être les clochards de demain mais je pense que, s’ils pouvaient trouver une porte de sortie, ils quitteraient volontiers la rue. L’impression qu’ils « s’en contentent » est rendue par l’image de communauté errante, d’animaux domestiques qui les suivent, de famille de circonstance. Mais s’ils sont là, c’est souvent à cause d’un chômage récurent, d’une fuite d’un contexte familial pénible. Un bon nombre de sans-abris sont inscrits à l’Agence Nationale pour l’Emploi et certains d’entre eux (trois sur dix) possèdent un emploi précaire qui signifie bien leur volonté de s’en sortir et de quitter la rue.
6 Que fait le gouvernement pour venir en aide aux sans-abris ?
En 2009, 1,1 milliard d’euros a été alloué à l’hébergement d’urgence et à l’aide alimentaire. Nicolas Sarkozy avait promis d’éradiquer la précarité en 2008 mais il n’a pas été réélu.
Depuis l’élection de François Hollande, un inventaire des bâtiments vides à Paris a été mené. Car le sujet central concernant les sans-abris est la recherche de bâtiments inoccupés. Cécile Duflot, la ministre du logement, a relancé le débat sur le principe d’une réquisition des appartements vides en permanence. Car si ce problème est central c’est que le Samu Social reconnaît que sur 1200 demandes d’hébergement reçues chaque année, 400 restent sans solution. En 2013 , le premier ministre a promis « la fin de la politique du thermomètre en matière de gestion des places d’hébergement pour les sans-abris et les mal-logés ». « Nous voulons changer les règles du jeu, faire en sorte que quand la période hivernale s’arrête on ne ferme pas les centres d’hébergement, que ce ne soit pas le thermomètre qui décide de notre politique mais la réalité humaine, sociale » a dit Jean Marc Ayrault.
7 Il existe des endroits à Paris où la nourriture est gratuite. Où ça ?
Plusieurs associations assurent des repas dans la rue, voire assis dans des structures solides. Les plus connues de ces « soupes populaires » sont celles des associations de la soupe Saint Eustache, la Soupe Populaire (Mabillon), l’Armée du Salut, le Secours Alimentaire, les Restos du Cœur (qui possèdent plusieurs lieux de repas gratuits à Paris), la Croix Rouge. Les noms des associations, les lieux et les horaires des repas sont inscrits sur le site de la Mairie de Paris.
8 C’est quoi, le Samu Social de Paris ?
Il s’agit d’un groupement d’intérêt public comportant plusieurs membres et plus particulièrement la Mairie de Paris, la SNCF et la RATP. Il fut créé par le docteur Emmanuelli en 1993 suite à l’augmentation des sans-abris dans la capitale. Les employés et bénévoles fonctionnent sur le principe des maraudes qui, de nuit ou de jour, sillonnent la ville afin de venir en aide à ceux qui n’arrivent plus eux-mêmes à contacter le Samu Social. Ces équipes comportent des travailleurs sociaux et du personnel médical.
Les sans-abris repérés par ces équipes sont dirigés, s’ils le souhaitent, vers des centres d’hébergement d’urgence de nuit. Notamment celui de La mie de pain ou La porte verte à Chatillon. Le numéro de la plateforme d’appel est le 115.
Dans la journée le Samu Social propose des aides juridiques, sociales et de domiciliation de courrier.
Dans le cas de familles entières en situation d’extrême précarité, le Samu Social peut les diriger vers des hôtels conventionnés.
9 Quel est le meilleur moyen pour éviter de finir dans la rue ?
On s’est rendu compte en Grèce et en Espagne, pays durement touchés par la crise, que de nombreux jeunes et moins jeunes adultes se tournaient vers leurs familles pour éviter la précarité complète et la position de SDF. C’est la réponse. J’ai noté que la solidarité familiale joue fortement en Espagne. Mais je vous laisse imaginer des adultes de 30 ou 40 ans qui doivent retourner vivre chez leurs parents. Il doit falloir mettre plusieurs mouchoirs sur sa fierté. On doit se sentir honteux de venir solliciter des parents qui sont sûrement concentrés sur leur propre survie. Mais ça marche. La famille est un lieu, une communauté, souvent critiquée mais c’est aussi le dernier refuge pour ne pas plonger et se refaire dans une ambiance positive. Pour le reste, il n’y a pas de formule magique sinon ça se saurait. On parle souvent de problèmes de boisson concernant les sans-abris mais cette addiction est la conséquence de leur position de SDF, pas la cause.
10 En conclusion, pourquoi écrire une fiction sur les SDF plutôt qu’un ouvrage sociologique, par exemple ?
Le terrain de la communication concernant les SDF est bien labouré, surtout par des associations courageuses qui leur viennent en aide dans la rue, dans des restos gratuits, pour le logement. Des livres existent également et, l’hiver, les journaux rendent compte de la souffrance de sans-abris. Mais la fiction, justement, aborde rarement ce sujet et quand je situe une intrigue dans la marginalité, c’est pour envoyer un rappel et dire que les vrais sujets du polar sont dans la rue, dans des positions de souffrance, de difficulté à vivre. Du coup, le lecteur est surpris. On peut également fournir de l’info sans en avoir l’air. Celle-ci sera mieux digérée qu’un pamphlet entier consacré au sujet. D’autre part, j’estime que, quitte à écrire, il vaut mieux écrire pour dire ce qui ne va pas plutôt que proposer une littérature d’acquiescement.