Barbès
PubliéPhotos Alain Auboiroux et Bernard Strainchamps.
In La porte de derrière
Folio Policier
Elle a vingt-et-un ans, elle veut du speed et toute la rue Myrha commence à le savoir car elle arpente l’asphalte en marmonnant et en agitant ses thunes sous le nez des glandeurs. Les trois cent cinquante dealers barbésiens la regardent progresser en souriant, pas salauds. Elle est en crise, ça lui passera. Les dealers de Barbès sont des gens simples qui croient aux publicités et à la Roue de la Fortune. Elle débarque rue de Chartres, traînant derrière elle une balance de compétition, Marcello, un pédé albinos qui chausse à peine du 36. Le genre à bouffer à tous les râteliers et qui finira lobotomisé à Sainte-Anne.
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La villa Poissonnière évoque une résidence à l’italienne abandonnée aux outrages du temps, le sol de l’allée centrale est jonché de détritus et dans les jardinets flanquant chaque immeuble de part et d’autre de l’allée, des chats faméliques étirent leurs échines bosselées. Tramson se penche sur le plus proche des greffiers, un bâtard grisâtre aux yeux fous. L’animal se contracte devant l’intrus et d’un coup de reins prodigieux fuse contre le tronc d’un platane centenaire, situé à trois bons mètres. L’homme et la bête se font face et Tramson peut distinguer à la commissure des naseaux du chat la mousse verdâtre qui défigure les félins vénitiens. Il évoque brièvement un virus international réservé aux chats puis, souriant de sa propre bêtise, se remet en marche pour pénétrer dans l’entrée du bâtiment n°8.
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Les cafés arabes tirent leurs rideaux, laissant échapper un dernier raï de Cheb Mami, voire un truc bidouillé au synthé de Sarahoui et Fadela qui cassent la baraque chez les moins de trente ans. Des étamines de néons s’essoufflent sur les façades ; la nuit amnésique cadenasse le quartier composé en majorité de travailleurs manuels dont l’heure de reprise du travail flirte avec les sept heures du matin. Tramson emprunte la rue Doudeauville et là, dans l’encoignure d’une porte de disquaire antillais, il la voit.
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Tramson by foot. Le cœur qui cogne. Marre de cette violence. Au bout de la rue de Panama, un poumon rouge sur la chaussée. Coup d’œil vite fait, Stevie dans les vapes. Hémorragie interne ? Le merdier. Coup de fil à Lariboisière. La plainte du SAMU. Le gosse dans ses bras, meurs pas, vieux Stevie, pas toi. Tous ces gosses. Des fusils trop grands. Le conducteur ressemble à Cassius Clay et brûle tous les feux rouges. Les urgences. Scanner. Tramson piétine, il est minuit passé. Douze cafés au distributeur. Enfin, l’interne qui évoque, lui, Woody Allen - période Keaton- s’approche d’un Tramson flageolant.
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Il traverse Barbès. Tout a changé pour lui. On chuchote sur son passage. Les parents se réjouissent qu’un flic ait mis fin à ce trafic de mort alors que leurs enfants, paupières mi-closes, toisent ce fils de pute qui va leur donner du fil à retordre pour peu qu’il s’attaque au deal de hasch, aux casses d’appartements et à tous les à-côtés qui font leur quotidien. Pradal sent cette fièvre. Chez Palmer, les habitués ramassent leurs bières et se rapprochent de la vitre pour le voir passer. C’est carrément le western racho sans Clint et sur une vieille cassette d’Oum Kalsoum. Les rues s’embrasent peu à peu sous le soleil de juillet. Pradal se tape à pied une virée insensée pour gagner la rue Greneta qui baigne dans une fraîcheur bienvenue.
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In Rouge est ma couleur
Rivages/Noir
Les néons commençaient à rougir les murs lépreux, les flics désertaient les rues et les grappes de jeunes beurs prenaient possession du quartier, déambulant sur toute la largeur des trottoirs en roulant leur caisse. Les joueurs de congas tenaient monômes, mais ceux qui ramassaient la grosse galette étaient les petits artisans du bonneteau. Des sommes astronomiques lâchées par des Teutons pleins aux as et des Américains cuités passaient entre leurs mains. Davis appelait ça le bizness du trottoir.
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In Rebelles de la nuit
Série Noire
Tramson marchait, le cœur à la casse, dans les rues naufragées.
Il marchait dans cette félicité liquide, car il aimait la rue, la nuit, la foule dérisoire et sublime. Il aimantait volontiers son regard à ces yeux qui jaillissaient du néant, leur offrant le don fugitif de son visage sans illusion.
Parfois, dans les rues nègres, il lui venait des doutes quant à cet amour instinctif pour le bitume. Alors, l’amant mutait en chasseur. Tramson était dur, obstiné et terriblement sentimental.
Tournant le dos à Barbès, il se dirigea en rasant les murs vers la gare du Nord. Le foyer pour sans-abri était édifié derrière la station afin d’éviter tout contact entre la population laborieuse -donc honnête- et les traînes savates professionnels.
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Après trois années passées à sillonner Barbès en tous sens, Tramson aimait la rue et la rue le lui rendait bien.
Il aimait la rue qui se dorait sous les premiers assauts du soleil, les odeurs de poubelles fraîchement vidées, les silhouettes pressées collées aux kiosques à journaux dans l’attente de Paris Turf.
Tramson parvint ainsi, sifflant dans sa tête African Waltz, jusqu’au rapid-couscous du métro Blanche. Un jeune homme lavait à grande eau le sol carrelé du cube glacial qui évoquait plus un cabinet de toilette qu’une salle de restaurant.
- Tony ?
Le jeune homme, dix-huit ans à peine, releva la tête en s’appuyant sur son balai.
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La femme blonde pouvait approcher les trente ans, mais personne à Barbès n’aurait misé dix centimes là-dessus. Une chose était sûre, par contre : elle était à poil sous son manteau trop court. Échancré, le manteau. Même Belkacem, le marchand de figues bigleux de la rue des Islettes, remarqua la pâleur d’une cuisse ferme entre les pans du tissu.
Elle était un rien tordu, la mère.
Les trois cent quatorze Arabes et Africains qu’elle croisa sur sa route, cet après-midi-là, s’en firent la réflexion. En vérité, elle avait fait le mur à Cochin, derrière le pavillon de psychiatrie d’urgence qui lui offrait asile. Puis elle avait pris l’autobus, déclenchant par sa seule présence, un début d’émeute chez les adultes de sept à soixante-dix-sept ans. Enfin, elle était descendue au carrefour Barbès-Ordener et, pour l’heure, arpentait les rues du quartier en tortillant ses fesses que le vêtement hivernal contenait avec peine.
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Les rues chaudes de Barbès l’aspiraient le matin. Chaque visage, chaque miroitement de lumière, la plus infime différence dans le timbre d’une voix le trouvaient disponible au contact, prêt à tenter l’aventure mille fois renouvelée.
Puis le soir engourdissait les gestes ; des gamins obscènes chuchotaient dans les impasses alors que dans les familles maghrébines les mères fermaient à clé les portes des placards. Vingt et une heure était l’heure préférée de Tramson. Celle où l’on s’abandonne aux terrasses des cafés, celle qui vous porte vers un poker, serrés à cinq dans une chambre de bonne ou, mieux encore, dans les bras d’une beauté aux yeux noirs.
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Abdullah descendait la rue de la Goutte-d’Or en direction du boulevard Barbès. On the Sunny Side of the Street. Soleil sale de septembre. Peu à peu, les cars de CRS reculaient sur le boulevard, les rondes s’espaçaient. Prévenir toutes les flambées de violence pouvant naître ici relevait de la gageure. Mais ce défi permanent excitait Abdullah et confortait singulièrement son autorité dans le quartier. On l’invitait, comme par le passé, à prendre la parole dans les temples de Barbès, mais maintenant il se faisait payer. Cher.
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In Une balle perdue / Jazzman.
Au même instant, Pomus, en cavale, éteint la lumière de sa piaule dans un meublé de la rue de Panama. Il se colle derrière les rideaux sales de la fenêtre. Maintenant, il a besoin de parler mais ne fait plus confiance à son portable. Kobé fait la gueule, il ne reste que Jimi pour le sortir de là. A minuit pile, il glisse son Glock à l’arrière de son baggy et pointe le nez sur les premières marches de l’escalier du garni. La rue est vide. Il récupère Myrha délaissée par les CRS, l’heure de pointe est passée. Puis il retient le bras d’un dealer inconnu et achète deux grammes de coke. Il se rencogne dans l’entrée d’une maison en réfection et sniffe sa came rapidement. Quand il sort de ce puits d’ombre, il tombe nez à nez avec Jimi.
- Merde, tu m’as fait peur, dit Pomus.
- Toi aussi. Alors qu’est-ce qu’il s’est passé, place Hébert ?
- On a fait le contraire de ce que voulait Kobé. Je sais, je suis con mais ces mecs m’ont mis les nerfs.
- Et pourquoi tu n’obéis pas aux ordres ?
- Je suis un sanguin, tous les Blacks sont comme ça.
- Je suis Black moi aussi, c’est pas une raison. J’ai cinq grammes sur moi, on se la fait ?
Pomus opine du menton. Les deux hommes rentrent dans le chantier éteint, Jimi sort sa coke de la main gauche et de la droite plante un long couteau noir dans le ventre de son dealer. Il s’éloigne lentement et active son portable qu’il porte à son oreille.
- Jimi. C’est fait.