Autofiction
PubliéDessins de Jacques de Loustal.
In J’aurais voulu être un type bien
L’institutrice
Mademoiselle Poussin, mon institutrice de CM1, était souvent vêtue d’une robe rouge moulante en laine. Son bureau de bois, fermé sur trois côtés, nous cachait ses jambes, mais il lui fallait de temps à autre écrire au tableau, passer entre les rangs pour vérifier nos cahiers et je contemplais, l’œil mouillé, son merveilleux postérieur qui se campait parfois à quelques centimètres de mon coude. Debout devant le tableau noir, elle avait quelquefois la maladresse de laisser tomber sa craie sur le plancher. Elle s’accroupissait alors pour la saisir et son cul, son merveilleux cul s’évasait, faisant se tendre le tissu écarlate.
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In Un jour je serai latin lover
Nuisances
Mon dernier voisin, passablement vaincu par mes diktats, avait trouvé la parade à la vigilance de mon ouïe surentraînée : le casque. Il regardait la télé au casque, écoutait la radio au casque et savourait ses putains d’opéras au casque également. J’adorais ce type. Il vient de partir et les nouveaux arrivent dans un mois. J’envisage dès les premiers jours une guerre de tranchées pour les mettre au pas. Lettres au syndic, plainte au commissariat, histoire d’installer l’ambiance. Ils sont jeunes, paraît-il. Dieu, comme je hais les jeunes. Donnez-nous pour voisins des générations de vieillards assoupis dès vingt heures dix devant PPDA et pionçant comme des loirs dès vingt heures trente. Pas de hard rock, pas de perceuse, pas de vrille dans les murs de soutien. Seulement, parfois, le souffle d’une bouilloire pour le thé de dix sept heures, le feulement des patins sur les parquets cirés, les pages du Télégramme de Brest craquant avec légèreté dans le calme ouaté du petit matin.
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Quéquette Blues
J’ai toujours été obsédé par la longueur de mon sexe. Tout petit déjà, je me plantais devant ma glace, prenant des mines, gonflant artificiellement l’objet pour qu’il paraisse plus gros. Mais il restait petit, trop petit pour tout dire. En colonie de vacances, je me douchais dans un coin, n’osant affronter les corps membrés de mes camarades. A l’armée, j’usais d’artifices, me présentant toujours de trois quarts sous les jets fumants, un gant à portée de main pour dissimuler l’organe de petite dimension.
Puis la vie suivit son cours. Je pris femme, conçus dans la joie -l’objet fonctionnait, c’était déjà ça- mais ponctuellement la longueur de mon zob me fit problème. Je m’en ouvris à mon épouse.
- T’as qu’à tirer dessus, ça le rallongera, proposa-t-elle.
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La fugue du psy
Fachetti était parfait. Il m’avait épargné la régression, le cri primal, et avait compris au bout d’une heure d’entretien qu’il avait affaire à un couard chronique, pessimiste invétéré, qui ne voulait faire confiance qu’aux médicaments. Je le consultais donc pour lui avouer mes frayeurs les plus récentes qu’il minimisait à l’aide d’une pharmacopée adéquate.
Mon été fut royal. Sans frémir, je me colletai avec un serpent dans mon jardin provençal et brisai la nuque d’un énorme lézard aux intentions peu pacifiques. Je crois même avoir chassé un marcassin qui fit l’erreur de croiser mon chemin dans les Alpilles. C’est vous dire la puissance de mon mental et la sérénité de mon psychisme.
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In Elles sont folles de mon corps
Vertiges
Depuis ce jour, je dois me rendre à l’évidence : le corps est faible. Toutes les forces du Bien qui devaient me rendre immortel m’envoient un message simpliste dans sa formulation : « Coco, tu vas y passer comme les autres ». De temps en temps, je me contemple dans la glace et je me trouve vraiment super. Des fois, quand j’ai bobo à mon doigt, je redeviens l’enfant aux boucles blondes qui pleurnichait à cinq ans en réclamant sa maman. Veut-on vraiment voir disparaître une innocence de cette qualité ? Je pose la question à ceux qui régissent l’univers car leur responsabilité est fortement engagée. Ils peuvent me joindre à :
Villard@forever.com
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In Bonjour, je suis ton nouvel ami
Suicide 1
Mardi dernier, j’étais franchement déprimé. Marseille avait pris trois buts dont un entaché de hors-jeu, personne n’avait rempli le distributeur de Mars du cinquième étage et Madeleine Chapsal publiait un nouveau roman. Quand à mon récent voisin de palier, il s’avérait -au plan politique- légèrement à droite d’Adolf Hitler. J’ai ruminé tout cela pendant le repas du soir puis, sur le coup de minuit, pour en finir, j’ai essayé de me trancher les veines avec le rasoir électrique. Ca a foiré, comme d’habitude.
Suicide 2
L’été dernier, à Eyragues, lassé du soleil, de la piscine, de la tapenade, des saucisses au feu de bois et du pastis obligatoire, je me suis décidé à mettre un terme à ma vie. Par noyade. A minuit, je suis descendu dans la salle de bain en étouffant mes pas. J’ai fermé la bonde du lavabo et j’ai laissé l’eau couler sur ma nuque, le nez dans la vasque. Comme je commençais à manquer d’air, Christine s’est pointée à la porte pour me lancer :
- Tu te laves les cheveux à minuit ! Ca s’arrange vraiment pas.
Suicide 3
Hier, j’ai tenté de me jeter par la fenêtre de mon appartement au troisième étage de l’immeuble. J’avais dans l’esprit ces suicides hollywoodiens : des femmes prises de boisson passant par la baie vitrée de leur penthouse éclairé a giorno. Ma fenêtre à moi est étroite et située à un mètre cinquante du sol. Il faut donc monter sur une chaise pour atteindre le rebord et, parvenu à niveau, se mettre à croupetons pour se glisser à l’extérieur.
Eh bien, qu’on ne compte pas sur moi pour mourir à plat ventre. J’ai quand même des restes de dignité.
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Suicide 4
Ce matin le ciel était bas et mon moral en berne. J’ai pris le pistolet de Christine -celui avec lequel elle allume ses cigarillos Davidoff- et, sans faiblir, me le suis enfoncé dans la bouche.
J’ai vu toute ma vie défiler dans une R8 Gordini et c’était franchement déprimant. Puis, je me suis souvenu d’un autre homme exécutant le même geste. Je l’appelais papa mais ce n’était pas mon père. Alors j’ai reposé le briquet et suis allé m’asseoir devant la télé éteinte, brassant dans ma tête des images d’une infinie détresse.
In Souffrir à Saint-Germain-des-Prés
La Sérénissime
Personne ne semble connaître mes livres à Venise. Les premiers jours de mes vacances, je ne remarquai rien. Une brise de mer caressait la Giudecca, nous grignotions des biscuits au pied de la Ca’d’Oro, comme ils disent. L’eau était verte et les bouges à gondoliers qui nous accueillaient à midi évoquaient Premiers pas dans la mafia. Nous avions repéré une trattoria pour ouvriers, cernée par les barges sur la Giudecca. J’engloutissais une pleine bouteille d’un merlot égaré sur les hauteurs de Vénétie et me laissais choir ensuite sur mon plumard au premier étage du gîte. Bref, tout cela puait le bonheur à plein nez et la littérature me préoccupait peu à l’exception des menus affichés au fronton des restaurants. Cette situation évoque un suicide bourgeois, j’en ai conscience.
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Le web, mon ami
Parfois je navigue sur le web. J’inscris mon propre nom sur un moteur de recherche. Pas tellement pour noter dans mon carnet noir les gens qui me haïssent, mais plutôt pour découvrir des fans inconnues. Tiens, une Japonaise. Par exemple, celle qui figurait dans Mystery Train de Jarmush : une groupie d’Elvis avec une garde-robe composée exclusivement de tee-shirts. Une qui écrirait : si Marc Villard ne vient pas tout de suite me retrouver dans mon village de Fujiyama, je vais me tuer en mangeant des limaces et je lancerai une invasion de sauterelles sur Paris ». Une Lolita impériale, j’adore.
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In Le coup du sombrero
Bolton-Tottenham
Devant notre insistance, la maison de retraite s’est équipée côté TV et ils ont intallé toutes les chaînes du câble. Sur un seul poste, malheureusement. Trois écrans proposent six chaînes et celui du salon deux cent trente deux.
J’ai des problèmes avec un rachitique du deuxième étage qui en pince pour Bolton depuis qu’Anelka joue pour eux. Au prétexte qu’il est originaire de Trappes comme le footballeur, il nous impose toutes les apparitions de Bolton sur le câble. Mon problème se situe précisément mercredi soir avec Chelsea-Barça sur Sport + et Bolton-Tottenham sur une chaîne de merde qui a les faveurs du trappien (trappiste ?). Il est très vieux et, aux Mésanges, les décisions s’emportent souvent à l’ancienneté. J’ai quand même tenté le coup.
– Paraît qu’Anelka va pas jouer, il a mal aux adducteurs.
– Bleu-bite.
– Vieux con.
– Tu ne verras pas tes snobs de Chelsea. C’est moi l’ancien et je veux Bolton.
– Si tu fais une ambolie, je te laisse crever la bouche ouverte devant ton match de nabots.
– C’est ça, c’est ça, t’as de la gueule mais c’est moi qui décide pour mercredi.
– Nazi.
– Bougnoule.
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In J’aimerais être un saint mais bronzé.
Dessins de Jean-Philippe Peyraud.