Robert Giraud, piéton des Halles.

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Interview : Marc Villard.
Photo couleur : Alain Auboiroux.
Photo N&B : Marc Villard.

J’ai découvert Robert Giraud au détour d’un livre, Le vin des rues. Héros des bars de nuit, journaliste avec Doisneau, Giraud regarde passer le siècle ébloui par la lumière des zincs et fustigeant les médiocres insensibles au poème du bitume. Puis je me décidai à le rencontrer dans un café montmartrois, les Négociants, où Robert avait table ouverte, sa photo sur les murs et un verre toujours prêt à portée de main.

Robert et Marc aux Négociants à Montmartre.

Les Négociants est un rade où s’accrochent tous ceux qui communient dans la chaleur des discussions à l’emporte pièce, des invectives échangées au-dessus du zinc. Giraud, vêtu de velours vert, discute, un ballon d’Anjou en attente. Il rit souvent, embrasse les belles filles. Sa voix est brûlée par la nicotine, son regard pétille d’humour. Et ça me revient par bouffées, notre dernière discussion. Le maquis dans le Limousin , la prison puis la confection du journal Unir. Son premier job de journaliste et aussi la rencontre de sa vie : les rues de Paris. Il fréquente les gens de la nuit, les truands, souscrit aux codes, dont celui de l’honneur et se rapproche des clochards, des marginaux qu’il présente à Doisneau. Puis le vin arrive très vite. Le vin en tant qu’alcool, certes, mais surtout comme un sésame pour pousser les portes, rencontrer des gens et pouvoir discuter à l’infini sans pratiquement toucher au ballon ambré posé à 10 centimètres de sa main droite. Comme il le dit si bien : « Le vin rouge, c’est le lien des gens de la nuit ». Son regard s’évade, il se projète en arrière quand la rue Mouffetard accueillait 67 bistrots. Descendre la Mouff’ relevait du safari. Fréhel connaissait les règles mais terminait sa balade bourrée comme un coing. Ça ne fait rien, Giraud la fit engager aux Escarpes, rue de la Contrescarpe : « Fréhel a maintenu sa voix formidable, d’une jeunesse, jusqu’à la fin de sa vie. Elle chantait en charentaises, avec une jupe de marchande de quatre saisons et un foulard rouge. Les gens qui l’avaient connue du temps de sa grandeur n’en revenaient pas ». Pour se faire payer à boire, elle jouait au jeu du cochon, les autres la laissaient gagner, évidemment. Elle sauvait la face et pouvait continuait à picoler.

Puis un beau jour Giraud, pressé par ses amis, écrit Les gars de la nuit, rebaptisé Le vin des rues par Prévert. Tous les éditeurs défilent pour l’éditer mais Giraud en veut 5000F. C’est Blaise Cendrars qui débloqua l’affaire d’un seul coup de fil à un copain chez Denöel. Le lendemain, Robert empocha son chèque et son contrat.

Evidemment, Giraud adorait Prévert : « Une merveille. Il suffisait de l’écouter, le suivre. On partait en vadrouille, un émerveillement. C’était un seigneur. Il disait toujours : « Ils sont cons ces journalistes, ils disent toujours Jacques Prévert, Jacques Prévert mais le plus important des deux c’est Pierre Prévert . Une fois, je me souviens, on débarque dans un bar à filles, un bordel clandestin, rue des Prêtres-de-Saint Germain-l’Auxerrois. Et on arrive là, y’avait un appareil à musique, c’était un jour triste et gris. Il y avait une grande fille qui avait mis Les feuilles mortes par Montand. Une chanson de Prévert. Jacques me dit, « Tu entends ? » Je dis : « Bien sûr, on l’entend partout ta chanson ». On s’assoit, je demande un petit ballon et Prévert demande la même chose mais dans un grand verre. Il faisait toujours ça et après il s’étonnait d’être un peu bourré. On écoutait la chanson et la fille, à la fin, remet Les feuilles mortes. Prévert n’en revenait pas. Il demande : « Qui c’est, cette fille ? » On lui dit : « La grande Simone ». Il me dit : « Va me la chercher ». Il lui demande : « Pourquoi tu mets ça ? » « Parce que ça me plait » elle répond. Prévert me dit : « Formidable, formidable ! Et tu vas la mettre longtemps comme ça la chanson ? » Elle dit : « Jusqu’à ce que j’en ai marre ». Alors Prévert lui demande : « Tu sais qui l’a écrite, la chanson ? » Et la fille répond : « Alors ça, j’m’en fous » « C’est moi qui l’ai écrite » avoue Prévert. Alors ça j’m’en fou, qu’elle dit. Prévert dit : « Formidable, vraiment formidable. Et d’où tu es ? » il demande. Et elle répond : « Aubervilliers, pourquoi ? » Il avait un don d’émerveillement incroyable. »

Le truc de Giraud c’est l’argot. Il a écrit au fil du temps des dictionnaires sur de nombreuses formes d’argot. Sa théorie est simple : il n’y a pas de nouvelles formes mais plutôt des ressucées qui n’en modifient pas le sens. Il admet cependant que le verlan – vieux comme hérode – à mis en valeur quelques mots tels « meufs » mais en fait tous ces dénominatifs préexistaient à leur utilisation. J’aurais pu signer cela. Quand je le traite d’écrivain, il rectifie : témoin.

Peu de temps avant sa mort, je lui posai une question concernant son côté nostalgique lié également à un style de vie. Voici sa réponse : « Oui, une énorme nostalgie mais j’avance. Je vis dans le souvenir des amis. La qualité des gens a énormément baissée. Il y a trois ou quatre ans, j’étais ici avec Doisneau et Baquet pour la troisième édition du Vin des rues. Des tas de jeunes venaient nous voir, ils ne croyaient pas que tout cela avait pu exister il y a seulement vingt ou trente ans. Aujourd’hui, nous sommes des dinosaures ».

Sa meilleure expérience reste son compagnonnage avec Doisneau. Giraud connaissait les marginaux, marlous, putes, gitans. Il devint le laisser-passer de Doisneau qui craignait quand même le monde de la nuit. Les deux hommes ratisseront Paris-Banlieue des années durant et Doisneau rapportera des photos de classe mondiale au retour de ces périples liés à l’infra-monde.

Enfin, aux dernières minutes de cette rencontre avec Giraud, j’indiquai le ballon posé près de lui sur le zinc. « Alors, quel est votre avis sur le Beaujolais nouveau ? » « Il est comme d’habitude ». « Pas terrible ? » « Bof ».

Je ne le revis plus jamais.

On peut lire : Le vin des rues (Denoël), Carrefour Buci (Le Dilettante), Les lumières du zinc (Le Dilettante), Paris mon pote (Le Dilettante), L’argos d’Eros ( La Table Ronde), L’argot du bistrot (La Table Ronde) et Monsieur Bob d’Olivier Bailly (Stock).

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