Giai-Miniet.

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Marc Giai-Miniet, l’atelier.

J’ai toujours été fasciné par les ateliers des peintres. Celui de Marc Giai-Miniet, vaste et situé à Trappes dans un jardin, ne fait pas exception. Quant au peintre, après avoir malmené de longues années durant la guerre de 14-18 et ses masques à gaz, la définition d’un lieu futuriste habité par des momies virevoltantes ; il est passé aux boîtes en trois dimensions qui proposent des caches souterraines en partie calcinées voire brûlées. Nous sommes donc au royaume de l’effacement.

Peinture.

Le bâtiment est de structure métallique. Les vitres laissent passer la lumière en provenance du jardin situé à l’arrière et de la cour conduisant au porche de rue. Au centre du bâtiment, une longue et large table sur laquelle Giai-Miniet fourbit ses boîtes, peaufine des détails, passe à l’acrylique des bateaux, des chaudières et des bibliothèques laminées par le temps. Il colle aussi, bricole la matière, scie, rabote. On reconnaît pèle mêle des pinceaux, des tubes écrasés, des bouteilles de Cristalline, un cutter, des cartons découpés, des boîtes en devenir, des ciseaux et de la colle. Le spectacle est situé alentours, sur les murs, sur des meubles de récupération, des tréteaux, des cartons renversés. Une radio sérieuse fournit un fond sonore, un soleil frileux éclaire les lieux et derrière les vitres, on note une pelouse tondue, des branches vibrionantes dans le printemps, des bouquets de verdure, une sculpture en rade. Au fond, des azalées ergotent.

Sur le mur de face, nous attendent :
Jésus, Marie and friends
des apôtres en sandales tropéziennes
d’autres miniatures éplorées dans le matin
les mères de Dieu pleines de grâce et de fleurs des champs
les feuilles d’un laurier se convulsant sur l ’arrière
des robes de bure en détresse
la lumière tamisée sur les icônes

Pivot à 45 degrés. Un mur à nouveau, un théâtre avec ceci :
des châteaux marshmallow
un donjon bleu caraïbe et rose sucette
disneyland à l’heure du thé
un château-fort caréné en toile de fond
une tour de guet en sucre d’orge
des herses hargneuses
un chemin de ronde
des vitraux occultés
un Bambi apeuré près du cochon trivial
et le bric-à-brac habituel égaré sur une desserte

Un peu plus loin, à cheval sur une baie vitrée, on trouve aussi :
des statues nègres étirées vers le ciel
du Macassar malmené au burin
du bambou martelé
des babouins voltigeurs
et au second plan :
un barbecue chipolata-merguez
des pots de fleurs en jachère
une herbe lézardée
à 90° au nord, on découvre :
de petits formats plein bois
des monstres échappés des pyramides, cavalant, éperdus
la mort esquissant un tango obsolète
des pustules celluloïd rampantes
un foetus translucide
de fausses couches affolées en quête d’identité
du sable de Kéops, de Képhren, de Louxor
des pharaons démaillotés

Sur le mur principal faisant face à l’entrée, une peinture de grand format se dresse, cernée par des coffrets-boîtes en cours de montage.
Il s’agit, concernant cette toile principale, d’un inventaire à la Leipzig, juste avant la chute du Mur.

Le tiroir 112 2214
et les suivants renferment :
des mémoires tapies dans le métal pour toujours
des fiches annotées
des compte rendus de filatures dans des bouges de Berlin Est
des transcriptions d’écoutes interdites
des boîtes miniatures en route pour la gloire
des bibliothèques calcinées
et le métal du couperet
dans sa couleur de référence :
le vert de gris

Trois pas dans la cour révèlent un séminaire de nains belges/polonais énamourés en plastique
Des pots d’aromates
Grincheux et Simplet flanqués de masques à gaz
Tchernobyl nous voilà
des gamelles melles melles
des bidons dons dons
des gamelles melles melles
et des bidons
Warum Sag Warum
toutes ces barbes implorantes

Retour dans les lieux. Happés par une étagère iconoclaste :
masques à gaz de nouveau
cellules de contention
le monde s’anamorphose
14-18 : sous la tranchée, les nains de jardin
feu à volonté

Les sentiers de la gloire
comme dit Kubrick
A contre-jour de l’entrée vitrée :
des coffrets bleus alignés bien propres
des cités noires et interdites

Un peu plus loin, dans une vitrine entièrement d’époque :
des petites mariées évanescentes
organdi et taffetas
des fiancés gominés aux cheveux jaunes
des communiants de pièces montées
des promesses de smoking
des dragueurs de dancing
du speed-dating de parking
et, plus loin, sur la bordure intérieur des fenêtres :
la crèche et les santons
l’enfant Jésus hyper cool
les rois mages
et la reine d’un jour

Avant d’en finir avec ce décor, on découvre aussi :

une métropolis gris souris
une usine de traitement des déchets
des hauts fourneaux criant la mort, la mort, la mort
des derricks urbains
des HLM péremptoires
des cuves atomiques solennelles
des conteneurs branchés sur Alpha 2
la ville-usine fermant les yeux
les ateliers de maintenance en grève
soudure à l’arc et pierre à feu

Livingstone I presume ?
et dans un espace protégé, presque underground :
un cirque Zavatta
des montagnes russes avec passagers hilares
du carton pâte et des faux semblants
deux momies en déroute
une Betty Bop périphérique

Parfois Giai-Miniet s’assoit sur une table et, visage dans le poing, réfléchit. Son univers tel que décrit plus haut se loge par strates dans l’atelier. Sous une apparence de désordre, le matériel basique est bien là. J’ai oublié de parler d’une bibliothèque protégée sous vitres. Elle renferme le Giai-Miniet activiste de la connexion poésie-peinture. Des plaquettes, des carnets, des livrets s’accumulent dans cet espace dont il n’est plus l’artiste mais l’artisan-imprimeur.

Des toiles anciennes, des sérigraphies, des aquarelles traînent ici et là. Ou bien conservées dans des cartons. Elles inscrivent le périple du peintre durant ces 40 dernières années. La logique créative se révèle alors. Pas de remise en cause à 180° mais une évolution marquée par les chocs imprimant sa vie. Le voyage en Egypte est certainement le plus marquant. Il nous faut donc voyager avec le peintre de paysages improbables de la fiction spéculative aux personnages buboniques et mortifères en passant par les momies végétant sous les pyramides. Tout le matériel de l’atelier prend sens à ce moment précis.
Pas question de collectionner pour collectionner. Giai empile des moments de son existence, des souvenirs, pour former au final un univers qui avance, triomphant.

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