Gérard Guyomard / Cinémascope

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Parfois je terminais mes journées, carton à dessin en mains, à La joie de Lire, chez Maspéro. J’y retrouvais des amis qui, comme moi, venaient acquérir du Marcuse, du Baudrillard, Le journal de Bolivie du Che. Puis nous passions à la pizza Pino voisine pour avaler une Quatre Saisons. Et l’un de nous posait invariablement la question culte :

- On va voir une toile ?

- D’accord, un film rital aux Ursulines ?

- Trop loin. Le Champo ou Le Quartier Latin.

Optant pour Le Quartier Latin, rue Champollion, nous prenions d’assaut la salle du haut (celle du bas n’existait pas encore) avec son néon caracolant sur les murs et ses lampes-tulipes, héritage des Noctambules. Et là, nous immergions dans Le Grand Sommeil, plissant les paupières pour essayer de saisir quelque chose à cet imbroglio. Mais, peu importe, Bogart nous fascinait. Bogey et ses tics, son armure de Chevalier Blanc, nous en imposait.

A vingt deux heures, nous jaillissions du cinéma et pouvions attraper la dernière séance du Champo situé à trente mètres. J’étais fasciné par la réflexion dans le miroir et les dessins de Jacques Tati situés dans le hall. Au Champo nous étions dans le repaire de l’Art et de l’Essai, ce qui nous convenait parfaitement. Nous avions soif de difficulté et pouvoir parler d’un film maltais abscons nous grandissait. Nous prenions place dans les premiers rangs pour visionner, par exemple, Chantons sous la pluie qui ne mettait pas nos méninges en danger. Mais nous étions bon public et je me souviens avoir chanté sous les lazzis Singing in the rain ou Good Morning avec mes copains. Fred Astaire était meilleur danseur mais Gene Kelly tenait la corde car il possédait cette gueule d’amerloque qui me faisait fantasmer. Ce film était-il fondateur des comédies musicales ? Non, bien sûr. Et nous terminions la nuit à comparer Chantons sous la pluie aux productions aquatiques de Busby Berkeley qui avaient la faveur des ainés.

Quand je revins du service militaire, je repris mes bonnes habitudes : librairie-pizzas-ciné mais, aguerri après seize mois passés en Allemagne, j’étais prêt à me risquer dans des quartiers plus distants.

La Pagode me tendait les bras. J’arrivais à y entrainer un ou deux amis et nous apprîmes à remonter la rue de Babylone. Nous changions d’arrondissement pour défricher un nouveau territoire et ça n’était pas rien. Il s’agissait d’un temple avec son petit jardin, sa grande salle aux fresques dévolues à une guerre sino-japonaise, ses dorures et ses dragons. Même le plafond était décoré. C’était beaucoup pour moi qui m’intéressais en priorité à l’écran, mais cette expédition dans le 7eme arrondissement était vécue comme un pélerinage. Je me souviens y avoir vu La dame de Shangai, avec Rita et Orson, perdus dans un jeu de miroirs, qui restera tel un rosebud désuet dans ma mémoire de cinéphile. J’y revins bien plus tard pour Un thé au Sahara, adaptation de Paul Bowles qui m’a fait aimer Tanger. Mon souvenir du film n’est pas impérissable mais, comme beaucoup, j’ai parfois rêvé de me perdre dans un désert, de changer d’identité, avant de m’inquiéter de la nourriture saharienne. Les intestins d’abord, c’est un principe.

A vingt ans, taraudé par une sexualité difficile à contenir, je pris le chemin du Méry, situé Place de Clichy. Je croisais en chemin des amiraux suspendus aux zincs, des dealers fatigués et des érotomanes de salon en attente de chair fraîche. Les deux femmes officiant à la caisse inspiraient confiance mais, rendu dans la salle au velours souillé, je pénétrais dans les grands fonds du cinéma porno. Un monde aquatique et bruyant communiait ici avec Les suceuses, Plein le cul ou Lily la vicieuse. Des mérous aux yeux fous arpentaient l’allée, des couples improbables soupiraient entre les rangées et moi-même, scotché à l’image, je me laissais couler dans cette petite mort. Puis me relevais au bout de 45 minutes, épuisé, pour aspirer goulûment les gaz de la place qui proposait son néon aux naufragés du cul.

J’arrivais à tenir deux semaines avec Bullitt au Max Linder ou L’Ange Bleu aux Ursulines. Bullitt avait mes faveurs car Mc Queen représentait le fin du fin du mec viril, implacable mais humain. Ses vestes en cheviotte, aux coudes renforcés de cuir, me fascinaient. Sa coupe de cheveux -un Brian Jones à la tondeuse rigoureuse- m’influença tellement que je décidai de l’adopter. Que dire de la poursuite en voiture dans les rues de San Francisco ? Elle tint longtemps la première place dans le top ten de nos poursuites automobiles jusqu’à la sortie de Point Limite Zéro de Zarafian. Puis je rechutais et, pour changer, optais pour le Brady, bien avant que Jean Pierre Mocky n’en devienne propriétaire. Le cinéma du boulevard de Strasbourg était spécialisé dans le cinéma d’épouvante et la série Z. Je flirtais avec l’anormal, le bizarre. Curieusement, l’oeuvre qui me reste en tête n’est pas un film d’épouvante mais un vieux Vadim, Et dieu créa la femme, qui proposait en tête d’affiche Brigitte Bardot, avant que celle-ci ne tourne dans Les bijoutiers du clair de lune, considéré à sa sortie comme un film érotique ébourriffant.

A vingt cinq ans, je flinguais avec les Tontons, planqué au douzième rang du Mac Mahon. Depuis peu, je fréquentais une jeune bourgeoise qui me trainait dans les beaux quartiers. Seul le Mac Mahon et le Balzac proposaient des programmations dignes de ce nom et je me régalais de « Faut reconnaître, c’est du brutal », de « La bave du crapaud n’empèche pas la caravane de passer » ou le must « Touche pas au grisbi, salope ». Ventura et Francis Blanche étaient mes nouveaux héros. Nous étions fort loin de Steve Mc Queen, comme quoi, avec l’âge, on peut changer.

Je me souviens d’une projection au Trianon de James Bond contre Doctor No avant que Bruce Lee ne prenne la salle en otage. Je n’étais pas proche du mythe en train de naître mais l’exellent Sean Connery sut se rendre sympathique à mes yeux et je transférais la nonchalance de Bond dans mon environnement quotidien. Les femmes devaient s’allonger à ma seule présence et les obstacles muter en broutilles sous mon regard perçant. Plus tard, je fus mis en présence des romans de John Le Carré dont l’incontournable La Taupe et je compris que l’on m’avait baladé avec cet espion de pacotille.

Puis, je versai dans une période d’amour fou à l’égard du peuple. Le cinéma intello de ma jeunesse me dégoutait et, confondant populaire et médiocrité, je m’orientai vers le film de kung-fu, l’épouvante et l’action. Mon cinoche préféré se nommait l’Agora et se serrait entre deux boîtes de strip tease bien membrées. J’y découvris Bonnie and Clyde, curieusement égaré dans ces contrées lointaines car l’Agora perchait également Boulevard de Clichy. On notera que, durant toutes ces années de trahison à l’égard du quartier latin, je ne mis jamais les pieds au Wepler qui se répandait place de Clichy avec ses films américains doublés en français. Descendre à l’Agora, entre les photos suggestives des établissements cités plus haut, relevait du frisson prémonitoire.

Puis, dans la foulée, je parvins au Barbès Palace, situé Boulevard Barbès, revendu aujourd’hui à un marchand de chaussures. Ce cinéma à l’italienne comportait une scène, un balcon , des pylones envahissants et du staff dégoulinant de dorures. Evidemment, je prenais place aux balcon, proposant à mes conquètes d’un soir Les hommes préfèrent les blondes ou l’incontournable Touchez pas au grisbi, must absolu de l’époque dans le domaine du polar popu.

Les années quatre vingt approchaient et, avant de revenir sur mes lieux sentimentaux des cinquième et sixième arrondissement, je posai mes valises au Max Linder seconde époque, avant la rénovation actuelle et l’écran panoramique. Je me déplaçais pour Lili Marlene, The Shangai gesture, l’Ange Bleu, du classique de qualité car la salle fut toujours un paradis pour les accros au nitrate d’argent. Durant les années quatre vingt, les affaires du Max chutèrent et la salle devint celle que nous connaissons aujourd’hui. Je m’y rendais en compagnie de vieux copains et, sortis du cinéma, une conversation cyclique nous accaparait.

- On jette un oeil au Rex ?

- C’est bourré à craquer. Marre de faire la queue.

- D’accord. On remonte vers Strasbourg, je connais un porno qui ...

- On a tout vu. Non, on va se faire une bouffe aux Halles.

- Encore Montorgueil ! Tu finiras par y coucher.

Mes amis n’avaient pas tort car j’y couche depuis vingt ans et ne m’en lasse pas. Les vieux cinoches, rares, certes, du deuxième arrondissement ont fait place à l’UGC Ciné Cité et à ses 20 salles car le cinéma propose toujours ce moment magique : la lumière s’éteint sur un écran blanc et chacun retient son souffle. D’ailleurs, en me relisant, je m’aperçois que l’emploi de l’imparfait n’est pas juste concernant le cinématographe. Car tous les films cités plus haut sont visibles dans l’une des innombrables salles de la capitale. Il s’agira peut-être d’une projection à 23 heures le mercredi au Saint Lambert mais, bon, c’est faisable.Ou d’une séance à midi au Saint Lazare -Pasquier, annonçant un collector de Monte Hellman. La passion est la même, les films sont là, seuls les lieux ont muté. Nous avons changé également mais Gérard Guyomard, cinéphile de fond, se souvient.

Il a voulu garder intact dans son souvenir, et dans le nôtre, la magie des images, la ritournelle de nos madeleines embusquées dans des salles aux moquettes rapées. Le mode opératoire du peintre n’a pas changé : des images à l’intérieur des images, des flashs devant, derrière. La toile est investie par les signes et la couleur triomphe. Ce qui s’est modifié au fil du temp chez ce peintre, c’est la multiplicité des techniques employées : acrylique, pochoirs, décalques. Le sexe est toujours là , dissimulé dans les croquis détourés au blanc. Et les constructions de Guyomard se révèlent au second coup d’oeil : trames oblique, horizontales, en demi-lune. Dans chaque oeuvre, il arrive à faire tenir le grand film, le documentaire et les actualités Pathé aux images tremblotantes. On comprend que derrière cet apparent fourbis, une volonté plastique, voire géométrique est à l’oeuvre pour la célébration du cinéma.

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