Edward Hopper.

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J’ai écrit cette courte nouvelle à la demande de l’Express. J’ai choisi Chop Suey entre les représentations de quelques toiles de Hopper. Puis j’ai imaginé une fiction dont la toile en serait l’illustration.

Mabel contemplait la ville depuis le cinquième étage de son appartement du Dakota Building. La neige ne tarderait plus. Elle entendit derrière elle la voix de Tim vociférant au sujet de la maison du cap Cod qu’il faudrait vendre, elle aussi. Elle se souviendrait du Black Tuesday 1929 comme du jour où Tim avait levé la main sur elle pour la première fois. L’ecchymose avait disparue mais la douleur persistait dans son ventre. Il hurla à la porte de la bibliothèque.

- Tu as déjà travaillé Mabel, tu sais faire quelque chose de tes dix doigts ?

Elle ne répondit pas. A ses pieds, les pins de Central Park pliaient sous le vent de décembre. Des canards frileux zigzaguaient sur l’eau noire du lac et les écureuils se rencognaient dans la fourche des arbres.
Elle ne voulait pas quitter le Dakota et elle savait pourquoi. Ici,
dans la chaleur de l’immeuble conçu par Hardenbergh, elle ne pouvait entendre les cris des traders sautant par les fenêtres de l’Empire State Building. C’est du moins ce qu’affirmait Churchill. Tim téléphonait encore une fois chez J.P. Morgan. Il avait perdu 13 millions de dollars de titres dont 400000 sur leurs avoirs personnels.

Elle se planta devant le miroir de l’entrée et posa sur son image un œil critique. Son pull vert moulant la rajeunissait et son petit chapeau en laine tricotée simplifiait son sourire mais elle ne souriait plus. Elle sortit dans le couloir et stoppa sous une colonne de marbre. Boris Karloff verrouillait son appartement , vêtu d’un manteau à col de lapin gris.

- Bonjour Mabel. Comment va la banque ? dit-il.

- Ils s’en remettront mais nous allons devoir vendre l’appartement.

- Vous allez me manquer, dit-il.

Sans réfléchir, elle se rapprocha de l’acteur et lui piqua un baiser léger sur les lèvres. Ils restèrent ainsi, dans les courants d’air, à se dévorer des yeux. Puis il détacha son regard de la jeune femme et dit :

- Je rentre vers 21 heures.

Elle fit demi-tour, se traitant de folle furieuse. La bonne avait fait la chambre et son manteau en laine brune était pendu sur un cintre dans le dressing. Elle consulta sa montre : 16 H. Le rendez-vous était à 17H. Elle passa la tête dans le bureau de Tim qui n’osait plus passer le seuil de la banque Morgan.

- Je vais prendre l’air.

- On va retrouver Karloff, petite dinde ?

Elle gagna la porte et pénétra dans l’ascenseur au bout du palier. Deux minutes plus tard, elle longeait le parc et remontait vers Harlem. Parvenue à Lennox Avenue, Mabel bifurqua dans une petite rue léchée par le soleil de fin d’après-midi. Elle faillit buter contre un homme qu’elle reconnut pour l’avoir déjà rencontré dans le quartier. Ed Hopper, non ? Pendant que l’Amérique retournait à l’âge de pierre, il gribouillait à la plume sur son calepin. Elle fit pfuuuuit avec ses lèvres, baissa la tête et entra dans le restaurant chop suey de Jimmy Wong. Margaret l’attendait déjà, derrière une table pourvue d’une théière.

Elle suspendit son manteau et prit place devant son amie. Les deux femmes hésitaient à parler. Mabel nota que leurs chapeaux étaient identiques.

- Alors ? dit-elle.

- J’ai le cyanure, répondit Margaret.

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