30 ans de polar / 30 évènements.

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Série Noire / TF1.

Au début des années 80, l’idée vient à Pierre Grimblat (Hamster) de proposer à TF1 une série de "one shot" adaptés de romans de la Série Noire en privilégiant un peu les ouvrages français plus faciles à adapter. Et l’affaire se fait. Hamster décline donc 37 films de 90 minutes chacun, adaptés de livres tels : Neige à Capri, Aveugle que veux-tu ? La lune d’Omaha, Meurtres pour mémoire, La fée carabine et bien d’autres. Evidemment, sur l’ensemble, on trouve à boire et à manger. J’ai un bon souvenir de Noces de plomb, Rhapsodie en jaune, Mort aux ténors, Le salon du prêt-à-saigner, l’Ennemi public n°2, par exemple. C’est Victor Lanoux qui présentait chaque film et on a pu voir, au fil des soirées, quelques acteurs de talent : Jean Benguigui, François Berléand, Bernard-Pierre Donnadieu, Bernard Fresson, Danielle Darrieux, Jean-François Stévenin etc... La diffusion a commencé le 28 janvier 1984 sur TF1. L’équivalence actuelle au plan TV n’existe pas mais on peut rapprocher la collection BD Rivages-Casterman Noir de la démarche de Grimblat. Une collection, une adaptation, des images.

Weegee au musée Maillol (2007).

Weegee, photographe-reporter des quotidiens new-yorkais entre 1935 et 1945 s’est fait une spécialité des faits divers sanglants. Drames de nuit, morts violentes, crimes de sang, arrestations musclées. Toutes ces images qui hantent la nuit new-yorkaise sont souvent les oeuvres de Weegee. Les morts ont les yeux vides, le sang coule entre les doigts, les lunettes brisées ne protègent plus rien, les assassins se planquent derrière leur mouchoir. Weegee est sans état d’âme concernant la violence : pas de cadeau pour les tueurs. L’astuce du photographe était d’avoir récupéré la fréquence de communication des flics ce qui lui permettait d’arriver en même temps qu’eux sur les lieux. N’oublions pas ses cadrages et ce noir contrasté, qu’on retrouve seulement chez les photographes nippons de nos jours. Les temps étaient durs, la mort était présente et Weegee était là pour raconter l’histoire de cette violence. Cette exposition était accompagnée d’un superbe catalogue.

Là où dansent les morts / Tony Hillerman (1986).

Le numéro 6 de Rivages-Noir est un livre de Tony Hillerman. Peu de lecteurs ont repéré Le vent sombre paru quelque temps plus tôt en Série Noire et amputé, comme d’hab’. Donc, Hillerman est une sorte d’ovni qui nous parle des peuples Zuni et Navajo peuplant les réserves indiennes de la région d’Albuquerque et plus largement du Nouveau Mexique. Dans ce livre, le dieu du feu Zuni a disparu et semble avoir été tué. C’est Joe Leaphorn, flic navajo, qui enquête. Au début, on est un peu perdu face à des mots comme Yucca, Wash, Rites guérissurs, Voie du sommet de la montagne, Fours Corners etc... mais Hillerman est un magicien. Les flics indiens avancent lentement le long des rios asséchés, la langue se déploie et la nature surchauffe. Toute l’oeuvre d’Hillerman qui paraîtra derrière ce chef d’oeuvre sera marquée par les mêmes éléments. On verra apparaître un jeune flic, Jim Chee. Joe Leaphorn s’écartera peu à peu. Mais tant qu’à lire Hillerman, autant commencer par ce texte fondateur. Tony est mort en octobre 2008.

James Ellroy dans Ecrivain Magazine.

James Ellroy est déjà reconnu en 1996 mais sa femme, Helen Knode, journaliste et écrivain, ne l’avait jamais interviewé. C’est chose faîte avec ce numéro d’Ecrivain Magazine dans lequel James se confie et parle notamment de son rapport aux femmes car Hélène était proche du féminisme américain. Ce qui marqua Ellroy dès l’enfance fut l’assassinat de sa mère (largement développé dans Ma part d’ombre) qui imprima à sa vie un angle définitif. Ces jours-ci, Ellroy revient sur les femmes de sa vie dans un roman à paraître chez Rivages : La malédiction Hilliker. C’est aussi la première fois qu’un magazine français affichait l’écrivain sur sa couverture.

Las Vegas. The Big room (1986).

On connaît Guy Peellaert et Michael Herr, auteurs du livre. Peelaert est celui qui a signé Rock Dreams, le générique de Cinémas-Cinémas, des affiches de films et beaucoup d’autres travaux graphiques de par le monde. Michael est l’auteur de Putain de Mort, fiction définitive sur la guerre du Vietnam. Ils s’attaquent ici à Las Vegas, la ville-lumière sortie du sable. Comme toutes les villes vouées au show bizz, au fric, aux paris, au tourisme, Vegas a abrité des gens formidables comme Nat King Cole, Orson Welles, Lenny Bruce, Sugar Ray Robinson. Des ordures telles Meyer Lansky, Bugsy Siegel, Richard Nixon ou le colonel Parker. Et des crétins qui ont noms Bobby Darin, Joe Dimaggio, Johnny Carson, Mario Lanza. Peelaert croque tous ces personnages dans leurs chambres d’hôtels, leurs intérieurs douillets, leurs sofas de merde et leurs limousines. Comme dit Baudrillard : "Irradiés par le spectacle, ils sont venus finir dans une ville irradiée par le jeu". C’est magnifique et j’ai un bon souvenir de l’exposition des dessins originaux au musée d’Art Moderne (Chaillot). Michael Herr est parfait comme d’habitude.

Mortelle randonnée par Claude Miller (1983).

Adapter le texte, magnifique, de Marc Behm n’était pas chose facile. Mais Miller s’en tire bien avec l’aide aux dialogues de Jacques Audiard qui remise ses phrases-culte pour l’occasion. L’intrigue en deux mots : un détective privé est engagé pour suivre et surveiller une jeune femme qui séduit et épouse des hommes fortunés. Puis les tue. Ca se complique un peu quand Serrault imagine que c’est sa fille, décédée depuis longtemps, qu’il accompagne sur cette course à la mort programmée. La voix intérieure prêtée au comédien est de haut niveau. L’ensemble est porté par le couple Adjani-Serrault qui, dans une relation père-fille suggérée, fait merveille. Une des grandes réussites de la période avec Série Noire, d’Alain Corneau, paru en 1979.

La position du tireur couché / Jean Patrick Manchette (1982).

Martin Terrier, tueur sans états d’âme, décide de raccrocher. Son employeur s’y oppose, évidemment. Cette intrigue est un classique du genre noir.

Manchette propose un héros au destin individuel. Sa nana, son fric, son rêve d’île isolée non polluée. Terrier tire son histoire personnelle vers l’adolescence et l’amour qui va avec : la fille qu’il aimait, 10 ans plus tôt. Partir n’est pas simple et les morts s’accumulent. La société des hommes ne concerne plus Martin mais ce sont les hommes qui lui expliqueront la manipulation dont il fut l’objet. Il terminera serveur dans une brasserie lambda. Manchette cite ses précédents livres et sa langue est impeccable, brillante. Le style est sec, comportementaliste, parfois facétieux. Le grand roman français des années 80 : avenir bouché, fin du rêve.

The Wire.

La meilleure série noire du monde disent certains. Pourquoi pas ? Les deux créateurs de The Wire ont choisi une ville qu’ils connaissent bien, Baltimore, pour y planter leurs intrigues. On y trouve de la drogue à foison, le port de la ville et ses conteneurs mortifères, des guerres de polices, des candidats à la mairie prêts à tuer pour y arriver, des Blacks qui investissent dans l’immobilier. Et, surtout, des adolescents plantés au coin des rues sortant leurs flingues pour protéger leur bout de trottoir. Les écoutes de la police tissent au fil des épisodes un univers de sons qui emporte tout. Les co-scénaristes se nomment Georges Pelecanos, Denis Lehane, Richard Price : ils ont marqué les années 2000.

Création de Souris Noire (1986).

Joseph Périgot, employé chez Syros, affectionnait la Série Noire. Il lui vint l’idée de créer un équivalent pour les jeunes lecteurs qu’il baptise Souris Noire. Les écrivains seront donc les mêmes que ceux de la grande soeur. A cette époque, nous n’étions pas tentés par la littérature enfantine mais Joseph fut persuasif. C’est comme ça que Syros et Périgot inventèrent un genre avec Daeninckx, Jonquet, Pierre et Marie, Périgot lui-même et bien d’autres. Plus tard, ces petits livres illustrés et bien édités grossiront en nombre de pages, de nouvelles collections pour les ados naîtront (Rat Noir) mais c’est comme ça que l’histoire a commencé.

Little Odessa de James Gray (1995).

Tim Roth campe dans ce film un tueur à gages d’origine russe qui revient dans le quartier de son enfance, Little Odessa, pour effectuer un contrat. Little Odessa est située en bord de mer. Le tueur essaie de passer inaperçu car son statut est détesté par son père. D’autre part, un parrain ukrainien ne veut pas le voir traîner dans le coin. Enfin, sa mère se meurt et son jeune frère l’a idéalisé. Le gamin attendait le retour de ce frère, Joshua, mais son quotidien commence à changer avec l’apparition du mouton noir. Tout ceci se déroule par un hiver froid et neigeux. Bien vite, ce retour aux sources tourne à la tragédie grecque et le tueur va se retrouver impliqué dans un affrontement qu’il ne souhaitait pas. Grave, brutal et silencieux, ce film est un chef d’oeuvre du film noir. Il s’agit pour Tim Roth du rôle de sa vie.

Rivages/Casterman/Noir.

Au fil du temps, Rivages-Noir a étoffé son catalogue mais n’a jamais été un éditeur d’images. L’idée de faire équipe avec Casterman, à charge pour l’un de proposer un réservoir de textes polar et pour l’autre des dessinateurs, est bonne, chacun donnant le meilleur de ce qu’il sait faire. Miles Hyman adapte donc Nuit de fureur de Jim Thompson (2009), Baru en fait autant avec Pauvres Zheros de Pelot et Christian de Metter se penche sur Shutter Island de Dennis Lehane. Ce ne sont que des exemples car la collection avance à grands pas. La maquette est belle et le format facile de manipulation . Tout le monde y gagne dans l’histoire : de bons textes à mettre en images pour les uns et un nouveau public à la rencontre des autres. On parle en ce moment de l’adaptation du Dahlia Noir de James Ellroy.

Alack Sinner.

Carlos Sampayo et José Munoz se rencontrent à Barcelone en 1974 et décident de créer un détective nommé Alack Sinner qu’ils mettront en scène dans leurs futures bandes dessinées. Ils créés leurs premières bandes pour le magazine italien Linus et Charlie Mensuel se positionne lui aussi. La bande du même nom démarre donc en 1975. Leur premier album obtient le prix de la meilleure oeuvre étrangère à Angoulême en 1978. On retrouvera le détective dans A SUIVRE jusqu’en 1997. Ce qui fait la différence entre Sinner et ses rares prédécesseurs, c’est le dessin de Munoz, zigzaguant, inspiré, déformant les personnages et bousculant la mise en pages / cases. L’utilisation du noir et blanc au moment où tout les dessinateurs se penchent sur la couleur est bienvenue, compte tenu du sujet. Aujourd’hui, Munoz travaille sur des personnages tel Carlos Gardel qui pourraient, eux aussi, être pris en compte par la nébuleuse polar.

Collection Futuropolice.

Futuropolis lance cette collection en 1983 lors du festival de Reims. C’est François Guérif qui assure la tenue littéraire et Etienne Robial se charge de l’artistique. Chaque étui de Futuropolice propose 4 petits livres à la couverture cartonnée-reliée. Une nouvelle inédite ou une réédition rare illustrée par un dessinateur proche de la bande Futuro. Jim Thompson cotoie ainsi Kyotaro Nishimura, Franck flirte avec Bram Stoker ou encore David Goodis fait du chemin avec Van de Wetering. Il s’agit d’une belle réussite éditoriale qui rappellait qu’on pouvait avoir du talent en écrivant moins de 500 pages. Guérif, qui n’a jamais compartimenté la littérature, mettait son principe en ordre de marche.

Manhattan Grand-Angle par Shannon Burke (2007).

Frank, infirmier-ambulancier à New York, est aussi photographe et shoote les décès récents, comme pour repousser cette mort qui rôde. Il tombe amoureux d’Emily, jeune escrimeuse, qui ne lui cache pas sa séropositivité. Il accompagnera la jeune femme durant sa longue agonie. Au fil du temps, les photos de Frank se font plus sereines et les vivants font leur apparition sur les clichés. L’écriture de Burke est elliptique, comportementaliste, technique. C’est beau, urbain et déchirant. Meilleur roman de la nouvelle Série Noire.

Plouk Town par Ian Monk.

Plouk Town (2007) est un recueil de forme poétique qui nous montre rageusement la France et cette écriture, bourrée d’énergie, englobe le monde. La misère, le quotidien, la déchéance ordinaire, la merde, le sang, la médiocrité sont bien loin des rêves sarkozystes. Chez Monk, ça gueule, ça se roule par terre, ça pleurniche dans l’escalier, ça boit des Calva, ça vomit dans les corbeilles. L’auteur, Oulipien, figure dans le récent DVD consacré à l’Oulipo. Il est né à Londres en 1960, vit à Lille et a traduit, notamment, Georges Perec. Quelques lignes :

la rue enfin l’envie de

vomir de gerber tout toi sur

ce comptoir de merde on peut

pas voir simplement ouvrir leur putain

d’yeux pour piger qu’on

est nazes niqués qu’on a

besoin de dormir voilà quoi dormir

un bon coup dormir tout simplement

Tango, canal historique.

De 1983 à 1985, Jean Louis Ducourneau fait paraître Tango, souvent nommée "meilleure revue du monde". Editée autour des Trottoirs de Buenos Aires, elle propose quatre numéros qui verront se cotoyer Léo Malet, Louis Nucéra, les docks de Rotterdam, Gene Vincent, Julio Cortazar (figure emblématique de la revue), Doisneau, Rita Renoir, Jim Thompson, Chester Himes, les cyclistes, le port de Barcelone, David Goodis, le jazz et encore d’autres choses passionnantes. C’est Ricardo Mosner qui assure la direction artistique et ces quatre numéros cultes se vendent très cher sur e-bay. Ces temps-ci, Jean Louis Ducourneau replonge pour quatre nouveaux numéros avec une équipe modifiée mais la même passion habite ces livraisons qu’on peut trouver de préférence en librairie.

Création de Rivages-Noir.

Francois Guérif, après avoir tenté quelques aventures éditoriales dans le domaine Noir ( Polar, Red Label) rencontre Edouard de Andreis qui préside aux destinées de Rivages. Les deux hommes conviennent de lancer une collection de poche "Noire" de qualité en 1986. La seule chose imposée à Guérif est d’introduire dans la collection un roman de Joseph Hansen acquit récemment par Rivages. Pour le reste, il décidera de tous les titres. On retrouve donc dans la collection des auteurs estimés par son directeur (Jim Thompson, David Goodis, Robin Cook). Puis viendront James Ellroy, Tony Hillerman, Georges Chesbro, Van de Wetering et bien d’autres. Le train est en marche. Au moment où j’écris cette note, le numéro 800 de Rivages-Noir ne va pas tarder.

Les deux Paris Noir.

En l’espace d’une année (2007-2008) deux éditeurs de langue anglaise éditent un livre affichant le même titre, Paris Noir, consacrés à la ville-lumière vue du côté obscur.

Aurélien Masson propose chez Akashic Books un Paris franco-français, vu par des gens comme Chantal Pelletier, Hervé Prudon mais aussi des noms moins attendus dans une anthologie noire : Dominique Mainard, Christophe Mercier. L’ensemble est précédé d’un petit plan de Paris pour que les américains (l’éditeur est de Brooklyn) puissent s’y retrouver.

C’est Maxim Jakubowski qui a concocté le volume édité chez Serpent’s Tail où l’on retrouve des écrivains français, Dominique Manotti, Jean-Hugues Oppel mais aussi anglais, John Harvey, Stella Duffy ou encore américains, Jérome Charyn, Barry Gifford ...

Le volume américain a paru depuis en français chez Asphalte mais l’anthologie de Maxim n’est pas encore traduite.

La plus grande civilisation de tous les temps.

Jean Luc Caizergues né en 1954 est l’auteur de ce recueil de poèmes marqués par le noir et, parfois, le désespoir, paru en 2004. Il s’agit d’une poésie serrée mais signifiante, contrairement aux exégètes de l’écriture blanche qui font de l’esthétique pour l’esthétique. Quelques vers qui traduisent bien la violence sourde à l’oeuvre dans ses textes :


Il s’approche de

ce corps allongé

sur le ventre au

fond /

de l’impasse. Il

sait qu’il commet

une erreur, me

retourne /

et reste planté

là dans l’atten-

te du choc de la

balle

Ou bien ceci :

Ma victime loge

au dernier étage.

Mes pas me condui-

sent jusqu’à /

la chambre. Nos

regards se croi-

sent dans une gla-

ce où moi seul /

apparais, assis au

bord du lit, mon

révolver appuyé

sur ma tempe.

Art Pepper / Straight Life.

Aidé par sa femme Laurie, Art propose avec ce livre (1982) l’autobiographie la plus ravagée du 20eme siècle. Saxophoniste alto, star de la West Coast, Pepper a vécu, l’ombre de la mort à ses trousses. Toxico à l’héroîne, il aura tout connu : les dénonciations par ses propres compagnes, la prison de L.A, les programmes de rééducation, la prison de San Quentin, le mitard, les descentes, les braquages, les voyages. Et ceux qu’on finit par ne faire que dans sa tête. Sa vie pourrait faire l’objet de plusieurs romans mais il sut également produire une musique créée par les Noirs, certes, mais que lui, petit môme de Watts, porta aux étoiles.

The Mission par Johnnie To.

Chef de file du cinéma Hongkongais, Johnnie To fut influencé très tôt par le cinéma de Melville. Transposé dans sa ville, le film noir du chinois prend des allures de mix entre le Samouraï et le Parrain. On le retrouve au mieux de sa forme dans Election 1 et 2 ainsi que sur Breaking News consacré à la manipulation des médias par les services de police.

The Mission est la première réussite de To dans le domaine du film de gangsters. Un parrain est contesté et, après avoir échappé à un attentat, choisit un groupe de gardes du corps dont le ralliement évoque celui des Sept Mercenaires. Ceux-ci sont indifféremment coiffeur, patron de boîte, spécialiste des armes, portier d’hôtel etc ... Mis en scène au scalpel, ce film brutal et malicieux est soutenu par une image structurée par un graphiste. Une musiquette répétitive soutient cette course-poursuite qui révèle les hommes qui la mènent. Le scénario, bien fait, propose une fin qui laisse, un peu, parler le coeur. Johnnie fait oublier Kitano qui, lui, se perd volontiers dans la célébration des triades.

Festivals.

Il est difficile de trancher entre festival et salon. A priori, la notion de salon implique d’aligner derrière des tables une flopée d’écrivains, à charge pour eux de signer leurs livres avec le sourire. En général, le festival propose plus : des tables rondes, du cinéma, un concert parfois, des lectures etc... Le phénomène du festival polar est né à Reims à la fin des années 70. Puis le principe du festival majeur émigra à Grenoble. Enfin, Grenoble cessa et de nombreuses petites manifestations furent créées dans des villes de province voire de la région parisienne. Si le festival doit être jugé à la qualité des invités, je veux souligner ici celui de Frontignan qui, à la fin des années 90, invita James Crumley, Georges Chesbro, Van de Wetering, Jack O’Connell, Gregory Mc Donald, Daniel Woodrell et quelques autres dont le nom m’échappe. Si le festival doit être fondé sur l’amitié et la qualité de l’accueil, n’oublions pas Lamballe, ville des Côtes d’Armor qui fête en 2011 sa quinzième édition et dont les animateurs sont devenus au fil des ans des amis. Le dernier-né est celui de Clermont-Ferrand qui ouvre le 16 avril 2011.

Mauvais genres.

Avec l’apparition d’Internet, les sites polar ont essaimé durant les dix dernières années. Je veux noter aujourd’hui un site disparu qui fut pourtant majeur plusieurs années durant. Il s’agit de Mauvais Genres, initié par Bernard Strainchamps qui proposa très vite des notes critiques rédigées par les sympathisants, des textes inédits, des rencontres virtuelles permettant, par exemple, à un écrivain de répondre chaque jour à des questions de lecteurs durant une semaine. Des interviews rapides et, surtout, des discussions là aussi virtuelles entre les fans de polar. Je me souviens encore des notes de Godefroy, des interventions de Q.Q. Lapra, des textes critiques de Maïté Bernard. Et de tous ceux qui firent vivre autour de Strainchamps ce lieu de rencontres. Aujourd’hui, d’autres sites ont pris le relais mais sont souvent des blogs, oeuvres d’ hommes seuls qui doivent être à la ferme et au moulin. Je pense à Le Thumelin, Laherrère, Maugendre et Thiébault, notamment, dont les blogs sont intéressants. Bernard Strainchamps, depuis, a monté une librairie en ligne qui offre de nombreuses notes critiques sur les livres qu’il vend, contrairement aux grosses écuries de vente en ligne qui se contentent du service minimum.

Barney et la note bleue par Loustal et Paringaux (1987).

Cet album édité par Casterman rend hommage au Noir et au jazz en même temps. Les auteurs ont choisi de narrer une histoire située entre le réel et la fiction : celle de Barney Wilen. Barney, musicien niçois, a gravé son nom dans la légende en enregistrant avec Miles Davis la musique d’Ascenseur Pour l’Echafaud. Saxophoniste ténor au phrasé subtil mais énergique, il a traversé l’Afrique avec ses musiciens pour y chercher une nouvelle musique. S’ensuivit une période entre parenthèses pour le musicien. Curieusement, l’album dessiné par Loustal remet notre homme en selle. Wilen enregistre donc "La Note Bleue", le disque, avec un quartet mené par Alain Jean-Marie. Il obtient le grand prix de l’Académie Charles Cros avec ce disque. Quant au livre, il est beau, tout simplement. Les images de Loustal, fondues au noir, éclairées à l’étouffé, s’accomodent merveilleusement à l’univers du musicien et plus généralement au jazz. La grande réussite de la BD noire des années 80.

The Red Riding Trilogy, DVD (2010), d’après l’oeuvre de David Peace

On se souvient des livres de David Peace : 1974, 1980, 1983. Ecriture speedée, images de folie, dialogues au rasoir. Trois réalisateurs se sont attaqués au sujet, pas facile, de la corruption policière dans le Yorkshire et à l’éventreur de la même région. Ce qui fait l’intérêt de cette série c’est que le dernier film informe sur le complot général. C’est une constante du film noir : il faut savoir conclure. Quant au filmage, j’ai une préférence pour l’opus 1980, très cruel et qui montre des policiers prêts à tout pour se faire de l’argent. Quand les flics du Yorkshire se retrouvent pour boire un coup, il trinquent en gueulant bien fort "Pour le nord. Ici, on fait ce qu’on veut". Réalisateurs : 1974, Julian Jarrold, 1980, James Marsh, 1983, Anand Tucker.

Jacques Monory, Galerie Maeght (2006).

Les toiles de Monory sont issues de deux séries : Death Valley et Catastrophe. On y retrouve aussi 3000 bombes et Le bonze en feu de la série Souvenir. Les Catastrophes proposent des avions fracassés, des voitures en feu, des décombres de bord de mer. La Death Valley, mortifère et désertique, n’a pas bougé en trente ans. Ces avions en miettes, ce feu, cette violence renvoient au 11 septembre. L’expo aurait put s’intitutler Ground Zero, c’est peu dire. Monory travaillait en bleu, évidemment, mais le magenta pointait le bout du nez. Cette peinture glaçée qui parle de mort et de solitude accompagne depuis 40 ans les textes du polar. Et ceux du peintre, publié chez Bourgois.

Gomorra de Matteo Garrone (2008).

A Scampia, dans la banlieue napolitaine, des cités d’immeubles entrelacés, sombres, pisseux, sont contrôlés par divers clans de la Camorra. Un camorriste en costume débarrasse les sociétés de leurs déchets toxiques et se contente de les entasser dans des carrières à ciel ouvert. Les autres s’entretuent, dealent et passent leur temps à surveiller les rues et les toîts avoisinants par peur d’une descente de police où du raid d’un clan adverse. Matteo Garrone a bien saisi tout cela dans cette adaptation du roman de Roberto Saviano. L’Italie est donc très mal partie et si Berlusconi s’en sort, ce sera avec de l’argent sale et les services à rendre en remerciement. Garrone, quant à lui, se tient au plus près de la base, de la merde, des rêves avortés car les camorristes ambitieux se font buter. Le grand film Noir de l’Italie contemporaine.

Les Séries Noires du Monde (été 96).

Bertrand Audusse, journaliste au Monde, vend l’idée de faire travailler des écrivains issus du roman noir sur de longs textes destinés à meubler les pages farniente de l’été. Le Monde nous propose de rendre des nouvelles qui devront faire au choix 55 ou 80 feuillets. Nous sommes 7 à y participer. Daniel Pennac et Jerome Charyn se renvoient la balle, Henri Raczymow propose une fable philosophique, Didier Daeninckx un fait divers, Thierry Jonquet plonge dans sa mémoire, Daniel Picouly planche sur un pastiche et je propose un tueur mélancolique. Les textes peuvent se lire en pliant les feuilles qui forment de petits livrets. Chaque nouvelle est annoncée en première page et, pour une fois, nous avons l’impression que l’on nous prend un peu au sérieux.

The World through my eyes / Daido Moriyama.

Weegee, c’était le passé, New York, la violence en direct. Moriyama, lui, n’est pas intéressé par les cadavres mais son univers renvoie en droite ligne au polar et aux images qu’il fomente. Ce photographe japonais est né en 1938 du côté d’Osaka et a beaucoup exposé, à Tokyo notamment. Ses thèmes : la nuit, la neige, les chiens errants, la ville toujours mutante, ses dynamiteurs en vadrouille sous les néons japonais qui n’ont rien à envier aux US. Daido est un adepte de l’urbain mais il s’échappe parfois, brièvement, pour montrer une province brumeuse et floue. Evidemment, ce qui fait sa force c’est le traitement de son image. Ses photos noires sont "poussées" au shoot pour obtenir un grain très fort qui l’éloigne de l’image de reportage. Au tirage, il doit contraster volontairement ses sorties et on obtient donc des clichés charbonneux au grain très fort. Consulter un livre comme celui-ci (2010), c’est faire une provision de déclencheurs d’histoires. C’est aussi son talent : ses images sont des histoires.

Police District.

Cette série polar est, à mon sens, la meilleure créée en France pour la télévision. Elle avait été commandée par M6 à Hugues Pagan et comporta 18 épisodes de 52 minutes chacun. Il s’agissait de mettre en avant la vie d’un commissariat dirigé par Olivier Marchal. Les comédiens qui l’entourent sont Lydia Andréi, Nadia Fossier, Rachid Djaidani, Francis Renaud. Pagan avait réuni autour de lui un groupe de scénaristes et quelques réalisateurs se sont succédés au fil des épisodes. On retiendra le côté noir et pessimiste des images qui correspond bien à la réalité et surtout l’excellente tenue des scénarios qui doivent beaucoup à Pagan. C’est Capa Drama qui produisait. Ceux qui ont raté cet ensemble peuvent se rattraper en visionnant les DVD (3 coffrets) qu’on peut acheter un peu partout, il me semble. Depuis cette série, qui date de 1999-2002, on a pu voir dans le même genre la lourdingue Braquo et
Engrenages, plus centrée sur les rapports police-justice. Mais Police District, fulgurante, déglinguée et sans affèterie n’a pas été dépassée.

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