Remember le Gallois (1929-2023)
PubliéLa scène des romans de Bill James est située au Pays de Galles dans une petite ville pas trop éloignée de Londres. Néanmoins, on y renifle un air de province. Les truands sont hargneux, les flics pompeux, subtils ou besogneux, c’est selon. Les crimes sont identiques à ceux de la métropole : ça saigne. On cherche à rapprocher James d’un auteur britannique contemporain pour fixer les esprits et le seul nom qui s’impose, est celui de John Le Carré. Ceux qui ont lu Bill James savent de quoi je parle.
On ne connaissait pas Bill James. Les plus curieux savaient que l’homme ayant signé deux livres à la Série Noire sous le pseudo David Craig était en fait James Tucker, né à Cardiff. Le véritable patronyme de Bill James. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre.
Un beau jour, John Harvey, de passage en France, demande à François Guérif s’il a lu Bill James. Mais non. Du coup, Harvey fait passer au responsable de Rivages-Noir un livre récent de James titré Retour après la nuit. Guérif, emballé, édite le livre et apprend plus tard que celui-ci appartient à un cycle et que Megan, qui casse sa pipe dans le volume édité, était bien vivante dans les premières livraisons de la série dite Harpur et Iles. Noms des principaux personnages : deux flics anglais fort dissemblables. Guérif choisit de reprendre la chronologie de l’édition anglaise. Donc, dans Lolita Man, Megan renaît d’entre les morts.
J’ai sélectionné quelques titres de la production de James afin de dresser l’univers de l’écrivain en quelques chroniques.
RETOUR APRES LA NUIT / Rivages-Noir.
Megan, femme de Colin Harpur, rentre de Londres par le train. Elle est assassinée sur le parking de la gare au moment de récupérer sa voiture. Les collègues policiers de Harpur commencent à cogiter et diligentent une enquête. Ses deux filles, touchées par la mort de leur mère, essaient de parler d’autre chose mais ça n’est pas facile. Colin, lui, interroge son indic préféré, Jack Lamb. Megan s’apprêtait à le quitter et quand elle se rendait à Londres, c’était pour baiser avec Tambo, ancien supérieur de Colin, et pas du tout pour courir les salons de thé.
Ce premier livre traduit de Bill James (sous ce nom, donc) fait alterner le drame, les dialogues vaches et sucrés des filles de Colin, Jill et Hazel, sans oublier les tirades de Lane, le chef de la police, qui voit les forces du mal progresser terriblement vite. Surtout au Royaume Uni. Mais Colin doit à Megan, malgré sa trahison, une vengeance qui n’intéresse en fait que lui. James fait progresser son roman par tirades allusives et propose une comédie de moeurs aux propos ouatés qui soulève l’enthousiasme.
LOLITA MAN /Rivages-Noir.
Un tueur de fillettes sème la terreur dans la ville et fornique avec la veuve d’un collègue décédé d’Harpur. Les services de police du comté et ceux de la ville se tirent la bourre pour avoir la peau du misérable et obtenir des retombées médiatiques positives. Le roman est construit comme un suspense typiquement british (Dunant mais en mieux) et la mécanique fonctionne. Iles, le supérieur de Harpur, est présent dans ce roman ainsi que Megan qui n’est pas encore décédée, of course. Les dialogues que James met dans la bouche d’Iles sont d’une subtilité exceptionnelle. Harpur, quant à lui, déçoit un peu. Il paraît falot et subit les évènements sans qu’on ait l’impression qu’il maitrise son sujet. Néanmoins, James tient son rang.
QUESTION D’ETHIQUE / Rivages-Noir.
Colin Harpur, garçon volage, est amoureux d’une étudiante nommée Denise. Parallèlement, renseigné par ses indics, il monte une souricière autour d’un braquage programmé. Martin Webb, rejeton un peu juste côté citron d’une famille de truands, est tué pendant l’intervention policière ce qui déplaît fortement à son père qui n’a plus qu’une idée en tête, se venger. Et Denise se prend d’amitié pour la maîtresse de Jack Lamb, marchand de tableaux et meilleur indic de Colin.
Les truands sont des gens simples et, d’autorité, classent Denise dans l’engeance policière responsable de la mort de Martin Webb.
Il faut voir comment Bill James trousse les dialogues entre Jack et sa mère, entre Colin et Denise et entre les gangsters entre eux. Ceux-ci ne sont jamais à court d’idées stupides pour ramasser la galette. Evidemment, Iles, le supérieur de Colin, se régale à coups d’allusions sexuelles et le vieux Lane, responsable du commissariat, se fait balader comme d’habitude par les deux précités. Bonne histoire, écriture impeccable et humour. Bill James écrit comme un jeune homme vif et malicieux.
EN SON ABSENCE/ Rivages-Noir.
Esther Davidson, cheffe-adjointe de la police britannique, participe à un séminaire à Fieldfare consacré à l’infiltration. Au départ, Esther n’est pas trop partante pour envoyer un de ses hommes (ou femmes) au casse-pipe mais les deux intervenants finissent par la convaincre. Celui qui est absent au séminaire c’est Iles, bien connu des lecteurs de Bill James. Flic hautain, prétentieux et donneur de leçon, Iles n’est pas venu car il a perdu un agent en mission d’infiltration et ne s’en est pas remis. Esther finit par envoyer un sergent pour épier de l’intérieur un consortium du crime spécialisé dans l’import-export de n’importe quoi, la drogue de préférence. Evidemment, son policier reviendra mais en très mauvais état.
Bill James travaille son récit par aller-retour, choisissant de s’intéresser aux faits et gestes d’Esther mais dans le désordre. L’écrivain épingle avec jubilation les rosbifs qui passent leur temps à contester très poliment les décisions des uns et des autres. Les échanges verbaux sont interminables, Esther se pose dix mille questions, son interjection préférée est "dans quel sens ?". Sarcastique, cinglant, ironique, parfois doucereux, James se régale avec tous ces flics attentistes et pointilleux. L’intrigue en elle-même est simpliste car le sujet n’est pas dans l’intrigue mais dans la façon dont les policiers peuvent compliquer leurs petites histoires. L’auto-flagellation est un sport très répandu chez les flics anglais. Notons qu’Esther est affublée d’un mari, joueur de basson dépressif, en guerre contre la terre entière.
Bill ne va pas chercher très loin sa galerie de personnages car je crois me souvenir que tous ses enfants, fille comprise, travaillent dans la police anglaise. Il a dù en voir défiler des flics à la maison.
LE BIG BOSS / Rivages-Noir
Noon, une jeune mule du trafic de drogue, se fait buter au cours d’un règlement de comptes entre gangs rivaux. Elle a 13 ans et a déserté l’école depuis un moment. L’émotion est forte dans la population, même chez l’un des truands, Mansel, qui tue sans vergogne mais pense qu’il faut rester près des gens modestes. D’ailleurs, pour que les rues ne soient plus dangereuses, il envisage un accord avec la police. Il s’occuperait des petits malfrats et les flics laisseraient prospérer son bizness. Desmond Iles, l’adjoint de police, est plutôt pour. Lane, le chef, et notre ami Harpur sont contre. Ils préfèrent balancer une taupe dans le sac de noeud des truands.
On retrouve ici Bill James, au mieux de sa forme avec une intrigue des plus légères mais c’est sans importance car, quand il ne se passe rien, James est génial. Les discussions entre Mansel et son homme de main valent le détour. Pareil pour les filles d’Harpur, Hazel et Jill, qui adorent parler à la place de leur père. Sans oublier Iles, caustique et méprisant. Il y a chez chez Bill James une telle subtilité narrative qu’on est tenté de le rapprocher fortement de David Lodge qui officie dans la littérature générale et plutôt au sein des universités. On retrouve chez ces deux créateurs le même humour en demi-teinte et l’art de produire de l’écriture sans faire avancer l’histoire. On appelle ça la littérature, si mes souvenirs sont bons.
LETTRES DE CARTHAGE / Rivages-Thriller.
A Tabbett Drive, la vie lénifiante des classes moyennes paraît simple. Néanmoins, un drame silencieux se joue dans la propriété Carthage où vivent les Seagrave, Jill et Dennis. En effet, Jill se sent persécutée par son mari dont l’activité principale, hors son travail à la compagnie d’assurances, consiste à tailler des haies de façon artistique. La tension monte entre eux. Pourtant, on pourrait croire que les partouzes qu’ils organisent chez eux chaque dimanche devraient aplanir les frictions, mais non. Jill a un amant, Greg. Et Dennis finit par coucher avec la voisine, celle qui réceptionne les lettres de la mère de Jill pour échapper à l’esprit inquisiteur de Dennis.
Précision importante : tout ce que nous apprenons nous est livré par lettres interposées car il s’agit ici d’un roman épistolaire. Les petits bourgeois britanniques confits en principes et en attitudes, se révèlent faux-cul comme jamais dans ces échanges impliquant familles et amis. L’ensemble nous est rapporté par un écrivain qui troque ses intrigues consacrées aux malfrats et aux flics gallois pour une communauté qui torture sans hausser le ton. Le vieux Bill nous a concocté une fin-pirouette bien dans sa manière et, surtout, dans celle d’un roman anglais obsolète. Il s’agit donc d’un hommage créatif et réussi.
James, originaire du Pays de Galles et vivant sur place, fut longtemps malade dans ses jeunes années. Il lisait Edgar Wallace, Agatha Christie, des gens comme ça. A l’âge adulte, il découvre les américains Raymond Chandler et James Caïn mais surtout George V. Higgins et quelques français. Quand on demande à Bill James pourquoi il a choisi d’écrire dans la constellation noire il répond : "parce que la vie elle-même est souvent très noire. Mais je veux montrer qu’hommes et femmes aspirent à quelque chose de mieux. Ralph Ember, par exemple, veut créer un club distingué mais The Monty reste un refuge pour les criminels. La situation est triste, tragique mais aussi très drôle. C’est comme dans Le Parrain, Michael promet à sa femme que la famille Corleone va devenir respectable dans cinq ans mais on sait comment ça se termine."
Comme je l’ai dit plus haut, la progéniture de Bill James a choisi de travailler dans la police britannique. Alors ces intrigues qu’il met en place sont-elles réellement de la fiction ? "Oui, complètement, dit-il. Mes enfants m’aident parfois en m’informant au sujet de l’organisation de la police mais pas plus. Ils sont très discrets, même secrets."
Au fil des ans, Bill aligne sur les tables des libraires de sacrés bons livres. On se prend à espérer qu’un jour un gros déclic se produise chez les lecteurs. Mais finalement, ce sont les producteurs de cinéma qui s’en mêlent. En effet, son roman Tip Top (Mal à la tête} chez Rivages, est adapté par Serge Bozon avec Isabelle Huppert, Sandrine Kiberlain et François Damiens dans les rôles principaux. Après l’adaptation d’un de ses livres (inédit en français) signé David Craig par Michael Apted en 77, la France s’intéresse à lui. Bill a pu changer sa TV pour suivre le rugby gallois. Notons que son livre, Lettres de Carthage (voir plus haut), n’a pas paru en poche mais en Rivages-Thriller (photo : Bill James, John Harvey).