Interview Zone Livre.

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Bonjour Marc Villard, pouvez-vous me décrire votre parcours ?

Quand j’étudiais à l’Ecole Estienne, je m’étais persuadé que j’avais un avenir de peintre. Ce n’était pas le cas. J’ai basculé dans la poésie sous l’influence de mes lectures : Yves Martin, René Char, Franck Venaille, Allen Ginsberg, Bob Kaufman. Vers la fin des années 70, le polar proposait des textes qui s’écartaient des règlements de compte entre flics et truands. Le social et le politique arrivaient en force dans les intrigues. J’ai eu envie de faire un tour du côté du Noir et j’ai délaissé la poésie pour la fiction.

Quelles étaient les lectures de votre enfance ?

En CM2, je suis tombé sur deux livres de Giono dans la bibliothèque de la classe : Regain et Un de Baumugues. J’ai adoré la lumière de ces romans. Puis la poésie, comme cité plus haut et Zola. Mes parents subtilisèrent La terre car j’étais encore trop jeune pour lire Zola, dixit un oncle lecteur. Ensuite, j’ai découvert la Série Noire à 13 ans durant des vacances bretonnes : les vieilles éditions cartonnées avec Day Keene et Harry Wittington. Je me suis rendu compte que l’aventure était là, dans ces villes sous la coupe de la mafia locale, dans les trajectoires de paumés manipulés par des femmes mauvaises.

Vous êtes connu pour vos poésies, comme scénariste mais ce qui nous intéresse ici ce sont vos romans noirs. Comment vous est venu l’envie d’en écrire et à quelle période ?

J’ai vraiment écrit du Noir à partir de 78/79. En lisant Delacorta et Prudon, je me suis dit que je pouvais me lancer sur des sujets analogues. Un copain de travail m’a aidé et nous avons commis un roman bancal, Légitime démence, publié par Sanguine. Il n’est pas très bon mais le fait que Mosconi l’édite m’a donné le courage de continuer. Parallèlement, j’écrivais des nouvelles et j’ai publié en 80 un petit recueil intitulé Nés pour perdre qui a été bien reçu.

Quel est votre ’modus operandi’ d’écriture ? (Votre rythme de travail ? Connaissez-vous déjà la fin d’un livre au départ ou laissez-vous évoluer vos personnages ?)

Je fais un plan. Même pour des textes courts. Le temps passe et je remanie le plan ici et là. Un jour, je me sens d’attaque et je commence l’écriture proprement dite. Je laisse macérer les sujets longtemps dans ma tête. Par contre, après, j’écris vite. Quant aux personnages, je les bouge en cours d’écriture mais j’essaie de me conformer à mon plan de départ et aux caractéristiques établies des personnages.

Y-a-t-il des personnages qui existent vraiment, dont vous vous êtes inspiré ?

Oui. Pour Ballon mort, un copain footballeur décédé aujourd’hui. Un véritable éducateur de rue pour Rebelles de la nuit et La porte de derrière. Récemment, c’est une amie qui travaille avec les biffins de la porte Montmartre dont je me suis inspiré. L’un des personnages de Le roi sa femme et le Petit Prince est calqué sur le rocker Vince Taylor. Je travaille aussi beaucoup à partir de photos et de morceaux musicaux déclencheurs.

Le parcours a-t-il été long et difficile entre l’écriture de vos premiers livres et leur parution ?

Non, j’ai eu la chance de vendre mon premier roman à Sanguine à une époque où la concurrence était beaucoup plus dispersée qu’aujourd’hui. Après, j’ai publié 4 recueils de nouvelles chez NéO et je suis entré à la Série Noire après un refus de NéO. Je n’ai pas démarché Rivages, c’est François Guérif qui m’a proposé de publier mes livres quand il a su que mon éditeur précédent déposait son bilan. Actuellement, les collections de polar prolifèrent mais les écrivains sont également très nombreux. Il est plus difficile de sortir du lot pour les jeunes auteurs.

Avez-vous reçu des remarques surprenantes, marquantes, de la part de lecteurs, à propos de vos romans ?

En 1996, j’ai publié en août une nouvelle de 55 feuillets dans Le Monde. Il n’y eut qu’une lettre de lecteur. Elle me reprochait de faire dire à mon héros, à la page 32, qu’il allait prendre une douche et finalement deux pages plus loin, il prend un bain. Je me suis fait traiter de tous les noms. Une autre fois, un lecteur parisien très sympa m’a fait remarquer que dans l’un de mes textes j’attribue une chanson à Chuck Berry alors qu’elle était de Little Richard. Là, j’étais honteux car il avait raison.

Vous êtes également directeur de collection aux éditions In8, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste ce métier et votre collection ?

Je publie des novellas noires, donc des romans courts de 80/90 pages. C’est une longueur prisée aux Etats-Unis mais pas en France. J’avais tilté avec les novellas après la lecture de Légendes d’Automne de Jim Harrison qui en propose trois. J’essaie de faire cohabiter des noms du Noir tels Marin Ledun, Carlos Salem, Marcus Malte avec des écrivains dont c’est le premier livre. Je pense à Anne-Céline Dartevel et Pascale Dietrich. Je lis beaucoup de textes glissés dans des collectifs et je furète sur les tables dans les salons. J’ai découvert ainsi Yvon Coquil et Jeremy Bouquin que je vais éditer cette année. Il faut être curieux et privilégier le texte plutôt que la notoriété. Cela étant, des copains comme Pouy ou Bartelt ont aidé la collection en me donnant des textes. J’ai l’impression avec cette collection de donner un coup de main au genre court.

Avez-vous d’autres passions en dehors de l’écriture (musique, peinture, cinéma...) ?

Oui, je passe beaucoup de temps dans les expos de peinture et celles de photo. J’ai été marqué par la génération de la Figuration Narrative en peinture (Monory, Klasen, Rancillac) et j’adore la photo américaine (Frank, Winogrand, Shore, Eggleston) et les humanistes-réalistes français comme Doisneau, Willy Ronis et Charbonnier.
Côté musique j’écoute du rock depuis 1957 et du jazz depuis les années 60. J’ai beaucoup utilisé la musique dans mes livres car je pense qu’elle fait partie de ma vie et qu’elle doit figurer dans mes textes. Depuis quelques années, je pousse plus loin le bouchon en lisant des textes courts en compagnie de musiciens de jazz, ça me change des festivals où il faut passer des heures derrière des tables pour vendre quelques livres.

A part votre métier, votre carrière d’écrivain, avez-vous une autre facette cachée ?

Je parle rarement de mon métier. Je suis graphiste et j’ai travaillé comme tel durant quarante ans. Les 20 dernières années, j’ai évolué vers le traitement des images, la photogravure, l’impression. J’aurais pu continuer à travailler dans ce domaine mais j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour de ce job. C’est cette formation/activité de graphiste qui explique ma passion pour la peinture et la photo.

Avez-vous des projets, de prochaines parutions ?

Je publie en octobre Sur la route avec Jackson, un petit livre noir autour de la mort du peintre Jackson Pollock aux US. Ensuite, devrait paraître Terre Promise à La Manufacture, l’histoire de deux jeunes paumés décidés à passer de la came en Angleterre pour des trafiquants. Puis Gallimard a prévu de me rééditer une trilogie barbésienne. Enfin, je vais commencer à réfléchir à une suite aux Biffins, un roman récent publié chez Jöelle Losfeld.

Quels sont vos coups de coeur littéraires ?

Ron Rash est pour moi la grosse révélation de ces dernières années. Des histoires provinciales mais qui renvoient à l’universel. Pete Fromm qui, sous couvert de nous parler de pêche à la mouche, nous décrit les soubresauts de l’âme. Enfin, Kem Nunn, surfeur inspiré et créateur d’univers.

Une bande-son pour lire en toute sérénité vos romans noirs ? A moins que le silence suffise ?

On peut écouter The return of Art Pepper ou Workin’ de Miles Davis.

Avez-vous un site internet, blog, réseaux sociaux où vos lecteurs peuvent vous laisser des messages ?

J’ai un site internet, marcvillard.net, mais on ne peut pas me laisser de messages. Merci pour vos questions sympas.