Cinq cents nouvelles.

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Celle-ci est la dernière écrite. Elle n’est pas publiée mais je la lis en public lors de projections des photos d’Hermance Triay.

La fuite.

Depuis le 21 août, les touristes ont déserté le pont Charles à Prague. Adam Marek s’est débarrassé de son uniforme de capitaine de l’armée de terre tchécoslovaque. Les yeux plissés, il contemple un char russe stationné en travers du pont, barrant le passage en direction de la colline de Hradcany . Une cinquantaine de parachutistes du Pacte de Varsovie, entourent le blindé. Adam ralentit le pas et emprunte un escalier qui lui permet de gagner la planque de Sobotka en douceur. Les premiers réverbères clignotent sous le pont massif et l’homme de quarante ans prononce pour lui seul le code d’entrée de la maisonnette aux volets clos. Il fait chaud ce 23 août 1968 et la Tchécoslovaquie s’apprête à enterrer son printemps, la rage au cœur.
Filip Sobotka et l’américain se tiennent au centre du séjour, décoré par un adepte du velours beige. Le tchèque est gris et Forsithe, l’américain, pourrait maigrir de trente kilos sans problème.

. Alors, Adam, comment réagit l’armée ? dit Sobotka.

. Mal. Nous sommes une dizaine d’officiers à vouloir la résistance mais les jeunes qui forment le contingent ont tellement l’habitude de baisser la tête qu’on aura du mal à les soulever.

. De notre côté nous avons sondé Dubcek, dit Forsithe. Il s’apprête à modifier la constitution. C’est un homme qui déteste la violence et on doit vous sortir du pays.

Brièvement, un lot d’images nostalgiques passe devant les yeux d’Adam.
Sa première virée en bord de mer avec son père adoptif.
Son premier flirt au bord de la Vltava impétueuse.
Les cris des jumeaux à l’arrière de la Skoda.
Les baisers furtifs d’Anna, le croyant endormi.
El le printemps de Prague aux effluves de liberté.
Les hommes qui lui font face ne perdent rien dans cette ivresse, au bout de tant d’années grises. Sobotka vit en Autriche et Forsithe, l’officier traitant, est payé pour manipuler les corps faibles du bloc soviétique.

. Et ma famille ? prononce Adam.

. La semaine prochaine, dit Sobotka.

Adam Marek sait qu’il doit fuir par l’Allemagne et qu’au bout d’un débriefing interminable, on le laissera se perdre dans un pays vendu à Coca Cola. Adam approuve Sobotka d’un coup de menton. Les trois hommes éteignent les lumières et, consultant leurs montres, décident d’attendre la nuit avant de contourner l’armada de tanks soviétiques, stationnée sur les artères principales de la ville.
A 23H30, Forsithe prend le volant de la Mercedes. Adam et Sobotka s’installent à l’arrière. Le véhicule se glisse dans la nuit tiède. Des escarmouches jaillissent par les artères perpendiculaires à leur trajet. Des jeunes gens traversent sous leurs yeux, agitant des drapeaux tchèques. Adam, le front collé à la vitre récite mentalement les renseignements qui pourraient lui assurer ainsi qu’à sa famille un avenir convenable dans l’économie de marché. Les magasins ont fermé leurs volets métalliques et des chiens apeurés filent sous le pinceau des phares. Il pourrait leur vendre les noms de ses homologues russes. Les noms de ses collègues trop contents d’ouvrir la porte aux forces de l’ordre. Les noms de ses voisins, les noms de ses anciennes maitresses. Le nom de son chien.
Il relève la tête sans reconnaitre la via Roznadov qui mène à Nuremberg. Maintenant, il plisse le front et pivote brusquement vers Sobotka mais l’autre cisaille déjà son cou avec sa cravate rayée. Adam ferme les yeux. Ses pieds s’agitent désespérément. Il ne voit pas le fleuve et le parapet contre lequel la voiture se range en silence.

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