Franz Bartelt.

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Franz

J’ai réalisé cette interview de Franz pour Bibliosurf peu de temps après la parution de La mort d’Edgar. Depuis j’ai fait paraître une novella du même auteur intitulée Parures. Elle est publiée dans la collection Polaroïd chez In8. On peut la résumer ainsi : les pauvres doivent ressembler à des pauvres.
Franz Bartelt est né en 1949 dans les Ardennes, où il vit. Il quitte l’école dès quatorze ans, enchaîne les petits boulots, puis travaille dans une papeterie tout en écrivant pour son plaisir. Depuis 1985, il se consacre exclusivement à l’écriture. L’essentiel de son œuvre est publié aux Éditions Gallimard, dont, récemment, Le grand bercail (Collection blanche, 2002), Charges comprises (Collection blanche, 2004), Le jardin du bossu (Série Noire n° 2717, Folio policier n° 434), Le bar des habitudes (Collection blanche, 2005, Folio n° 4626), Chaos de famille (Série Noire, 2006), Pleut-il ? (Collection blanche, 2007), Petit éloge de la vie de tous les jours (Folio 2 € n° 4954).

As-tu des souvenirs de l’époque où tu travaillais dans une usine de transformation du papier ?

Plus que des souvenirs : de la nostalgie. Pas au point d’avoir envie d’y retourner, surtout en sachant ce qu’est devenu aujourd’hui le monde du travail. Mais c’était le bon temps, et le temps des vrais braves types. En tout cas, c’est une période que je ne regrette pas. Il y a des façons moins honorables de gagner sa vie, quand on ne sait rien faire de particulier. En tout, j’ai passé à peu près une vingtaine d’années à bricoler, non sans assiduité, dans ce genre de métiers peu spécialisés. Comme je faisais les trois huit, j’avais un peu de temps pour écrire chaque année deux romans tout à fait calamiteux. Quand j’ai quitté l’usine, en 1984, à défaut d’être satisfait des trente ou quarante manuscrits qui encombraient ma musette, je commençais à bien maîtriser l’accord du participe et le pluriel des mots composés. À partir de ce moment, je n’ai pas jugé utile de modifier les habitudes que j’avais prises à l’usine et je me suis mis à convertir mes humeurs en prose aussi régulièrement que je travaillais à la transformation industrielle du papier. Comme disait Rimbaud : « La main à la plume vaut la main à la charrue, horrible travailleur ! »

Avant le roman et la nouvelle, tu as écrit de nombreuses pièces pour le théâtre. Pourquoi ?

Pour tout dire, j’ai commencé, dans ma jeunesse, par écrire des pièces. Comme dans les Ardennes, il n’y avait personne pour les jouer, je suis passé au roman, tout en continuant à écrire une pièce de temps en temps. En 1984, France Culture m’a pris une de ces pièces, puis d’autres, puis des feuilletons. Ensuite, j’ai travaillé avec des compagnies, et ça continue aujourd’hui, parce qu’au fond ce qui me plaît par-dessus tout, c’est l’illusion du théâtre, et la vie en chair, en os et en souffle, qu‘on ne trouve ni dans le roman, ni au cinéma, ni à la télévision. D’ailleurs, Le Jardin du Bossu a des airs de roman noir, mais c’est une pièce de théâtre. Et, qui plus est, une pièce de théâtre qui parle de l’illusion du théâtre.

Vis-tu le roman noir comme une expérience ?

Comme lecteur, je ne fais pas beaucoup de différence entre le roman noir et l’autre roman. Comme auteur, encore moins. Avant de commencer un roman, je ne me demande pas s’il sera plus ou moins noir. Je l’écris. Pour répondre à ta question : chaque roman est une expérience. Et même chaque ligne. Et probablement chaque mot de chaque ligne. Y compris ces réponses à tes questions. J’ai toujours perçu l’écriture comme une sorte d’expérience périlleuse. Il faut sans cesse choisir entre dix mots, dix expressions, dix façons d’attaquer une scène, de la développer, de la conclure, voire de la rater, etc. C’est compliqué. C’est pourquoi, le plus souvent, je laisse faire l’instinct. Finalement, avec le recul je me dis que ça s’est écrit tout seul. Ou presque.

Dans ton livre, La Mort d’Edgar, l’une des nouvelles est une satire des milieux de l’Art contemporain. Ça t’insupporte, les installations ?

Ce n’est pas du tout une satire. Le peintre de cette nouvelle conduit une démarche artistique on ne peut plus grave et qui me tient à cœur. J’ai écrit des centaines de pages sur l’attente. Dans la nouvelle, le personnage rentabilise son attente en la transformant en œuvre d’art. Il n’a rien à faire et il en fait quelque chose. C’est la définition même de la création : faire quelque chose à partir de rien. Quant aux installations auxquelles j’ai pu assister, religieusement il va de soi, je les ai toujours prises au sérieux et, comme autant de manières pour les artistes de dépasser une tentation, en en épuisant les possibilités, avant de passer à autre chose. Ce peut être magnifique. C’est parfois désolant. Mais il y a longtemps qu‘on a identifié le potentiel artistique de la désolation. Bref, cette nouvelle n’est pas plus une satire de l’art contemporain que le fait de dessiner des moustaches à Joconde en serait une de l’art de la Renaissance. On ne s’amuse qu’avec ce qu’on aime.

Plusieurs de tes nouvelles du recueil fonctionnent avec une chute. Les Américains utilisent moins la chute. Est-elle indispensable ?

Dans une nouvelle, la chute épargne au texte de tomber plus bas. C’est quelquefois ce qui différencie une nouvelle d’un simple tableau, d’une scène rapportée, d’un récit et en fait un objet verbal spécifique. Il y a des Américains avec chute et des Américains sans chute. Idem pour les Français et pour les Belges. Personnellement, j’aime bien qu’une histoire se referme sur elle-même, sauf si elle exige une fin ouverte, ce qui arrive aussi. Comme lecteur ou comme téléspectateur, je n’aime pas du tout qu’un roman ou qu’un téléfilm se termine en queue de poisson ou par une convention trop fatiguée. J’ai l’impression d’être privé d’une révélation, parce que je continue à lire comme je lisais quand j’étais enfant : avec une grande impatience de savoir comment tout cela va finir. Une belle et bonne fin, bien surprenante, c’est une façon de récompenser le lecteur de s’être infligé la peine de lire je ne sais combien de pages d’un intérêt peut-être discutable.

Sur ce recueil, on est plus dans le désenchantement que dans la fraternité. Penses-tu avoir évolué dans ce sens ?

J’ai vieilli, mais je ne sais pas si j’ai évolué. Et par rapport à quoi aurais-je évolué ? C’est une question à laquelle il m’est difficile de répondre, du fait que ce recueil a été écrit il y a huit ans, en même temps que le Bar des Habitudes. Donc il faudrait que je cherche dans ma mémoire les signes d’une évolution qui se serait produite il y a huit ans, avec la complication subsidiaire d’arrêter un point de comparaison par rapport au Bar des Habitudes écrit deux mois auparavant ou bien par rapport à d’autres livres écrits des années plus tôt ou encore par rapport au temps enchanté où je n’avais pas écrit un seul livre mais où, fraternellement, je n’avais que des camarades.

Les Ardennes sont peu présentes ici. Tu penses avoir fait le tour de ton pays ?

On n’a jamais fait le tour d’un pays. Quand je parle des Ardennes, en réalité je n’évoque, en gros, que le petit territoire que je vois par la fenêtre de mon bureau. À peine quelques kilomètres carrés, à l’intérieur desquels il y a tout ce qu’il faut pour remplir vingt-cinq bibliothèques, les gens, les choses, la géologie, les éblouissements botaniques, les champignons et, surtout, le langage, les épopées de cinq minutes, les plaisanteries qui font long feu, les ragots somptueux, les potins sublimes, les mensonges éhontés. Quand je suis trop longtemps en panne devant l’écran, il me suffit d’aller me promener une heure autour de ma maison pour en rapporter de quoi noircir autant de feuillets que j’en ai envie ou besoin. Cela dit, les histoires que je raconte peuvent se passer n’importe où. Les personnages sont plus importants que le décor dans lequel ils évoluent, lequel décor emprunte aussi à des lieux que j’ai beaucoup fréquentés, auxquels je suis très attachés, comme certaines régions d’Italie, d’Allemagne, de Belgique, de Hollande, de Normandie, de Bretagne, entre autres. Si j’évite de nommer les endroits avec précision, c’est seulement pour la même raison que mes personnages portent souvent des noms extravagants : pour signaler qu’on est dans la fiction et que tout n’est pas à prendre au pied de la lettre.

La quatrième de couverture avance le mot roublard envers toi, d’autres disent malin. N’est-ce pas simplement de l’humour ?

Quand on habite sur une frontière, on a le goût de la contrebande. Pour survivre, un contrebandier, un passeur donc, doit être plus malin ou plus roublard que les gabelous qui sont des malins en armes et des roublards en uniforme. Ils sont les plus forts, parce qu’ils ont le droit de leur côté. Par ici, quand ce n’est pas un sport, être malin est une valeur morale, quasiment une vertu. Un contrebandier défie l’autorité du képi. De même, quand j‘écris, c’est-à-dire quand j’essaie de passer quelque chose de l’autre côté, je le fais contre l’autorité de la grammaire, du bon sens, j’utilise toutes les combines de la langue, tous les niveaux d’écriture, toutes les astuces et toutes les inventions, pour ne pas me laisser trop docilement tomber sous le coup de la loi commune. Dans la vie, je ne suis ni roublard ni malin, mais au temps des vraies frontières, si je passais la barrière sans quelques kilos de tabac ou quelques casiers de bière catholique dans le coffre, j’avais l’impression d’avoir oublié quelque chose de l’autre côté. C’est moins de la roublardise qu’une forme d’insolence devant ce qui, dans la société, peut nous écraser, soit en nous dominant, soit, ce qui est pire, en nous conduisant à croire qu’il vaudrait mieux se soumettre. Par conséquent, l’humour serait avant tout une manière de désobéissance.

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